“Il y a aussi une vraie beauté dans le futile”

Lumineuse et libre, la photographe Sasha Marro se confie à Tafmag sur son parcours de la salle de montage à la photographie du réel, sa vie de parisienne et son amour pour la solitude et les autres. Rencontre éclairée par un après-midi de Mai sous le ciel de Paris.

Hello Sasha, merci d’être avec nous sur Tafmag ! Tout d’abord, comment vas-tu en cette éclosion printanière ?
2022 so far, so good ! Notre époque est tumultueuse, chaque année apporte son lot de surprises et d’inattendus. Je me sens chanceuse d’exercer un métier qui me passionne où j’ai la liberté de m’exprimer. Je fais de supers rencontres, je voyage, je suis toujours amenée à garder l’esprit en éveil. Et aujourd’hui, de belles choses viennent à moi.

Lorsqu’arrive le printemps c’est comme une libération

Ce mois-çi sur Tafmag, notre credo est “Mai, fais-ce qu’il te plait”. On s’intéresse à ce sentiment de liberté et de gaieté retrouvée alors que les jours rallongent et que nos esprits s’éveillent au contact de la nature. Que t’inspirent le printemps et le mois de Mai ?
Le printemps est un point de bascule pour moi. Je suis très sensible à la lumière, je me sens un peu en hibernation pendant l’automne et l’hiver. Lorsqu’arrive le printemps c’est comme une libération de tout ce qui était au repos, en préparation, de manière invisible durant des mois. C’est une explosion de lumières, de couleurs, d’odeurs, de joie. Un horizon de nouveaux possibles.

Tu as commencé ta carrière dans le milieu du documentaire et de la télévision, puis tu as fait l’école des Gobelins à Paris. À quel moment as-tu décidé de devenir photographe et portraitiste ?
Vers la fin de l’adolescence, vers 17-18 ans. Je voulais raconter l’autre, ou plutôt lui permettre de se raconter par mon regard posé sur lui. Mais à 17 ans, quand je disais à voix haute que je voulais être photographe, cela me semblait loin, abstrait et presque inatteignable. J’ai donc commencé par apprendre le montage vidéo ; j’en avais la vision d’un métier technique, ce qui rendait les choses plus concrètes et accessibles. Vinrent ensuite les collaborations avec différents réalisateurs de talent sur des documentaires. Cela m’a donné confiance dans mon regard et ma sensibilité à illustrer un propos ou une histoire. Le processus ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais j’ai pris conscience en chemin que j’étais prête à dépasser la technique pour enfin laisser s’exprimer ma créativité. J’étais prête à aller vers l’essentiel en racontant des histoires à travers une image.

Comment décrirais-tu ton esthétique et le style de tes photos ?
C’est une question que l’on me pose souvent, il m’est toujours aussi difficile d’y répondre. Comment décrire mon travail avec des mots et ne pas figer les choses en les décrivant alors que j’ai la conviction que mon travail est en constante évolution. Je veux garder cette liberté d’aller là où on ne m’attend pas, sans pour autant me sentir contrainte de devoir forcément aller ailleurs… Mais je vais quand même essayer de me prêter à l’exercice. J’aborde mon travail comme un ensemble, une histoire, et non comme une succession d’images détachées les unes des autres. Toutes ont un lien, un fil conducteur, notamment par les sujets/cadres/couleurs qui sont très importants pour moi. C’est une sorte de désordre reconstruit où l’on retrouve l’idée de narration. J’essaie de créer une forme d’intemporalité. J’aime aussi mettre en valeur des choses qu’on ne prend pas toujours le temps de regarder, rendre des détails importants pour offrir une autre perception de la réalité.

Peux-tu me décrire ton quotidien de photographe ? Comment prépares-tu une série de photographies ?
C’est souvent une réflexion qui part seule et ensuite, je ressens très vite le besoin d’échanger. On me disait tout le temps “pose tes idées, écris-les d’abord” ; mais ça ne me plaisait pas trop de fonctionner comme ça. J’ai besoin d’en parler et d’échanger malgré la pudeur que j’ai par rapport à mon travail. L’échange rend les choses concrètes et cela fixe un objectif. La plupart du temps, je poursuis par une recherche iconographique sur différents médiums afin de nourrir mon imaginaire : un film, une photo, une série, une musique, des scènes de rue et bien sûr des rencontres. Lorsque je me sens suffisamment nourrie, stimulée, il est temps pour moi de faire le vide pour laisser les connexions se faire. Je laisse place à mon interprétation, mon projet, ma vision.

La mode est un prétexte aux histoires que j’ai envie de raconter

Tu collabores souvent avec le milieu de la mode, comme ta campagne pour Hermès. Quel est ton rapport au style ?
La mode me permet d’aborder des thèmes très divers avec une grande liberté, en travaillant l’esthétique bien-sûr, mais également dans cette approche narrative où je me retrouve tant. La photo de mode offre un cadre propice à l’inattendu, elle libère de certaines règles et permet de travailler au-delà des silhouettes et des vêtements. La mode est un prétexte aux histoires que j’ai envie de raconter, elle m’offre la matière, les couleurs et le cadre dont j’ai besoin. Cette envie constante de fixer un instant, le futile et le muable. Je trouve qu’il y a aussi une vraie beauté dans le futile.

Tes photos sont comme comme une parenthèse temporelle, comme si tu parvenais à figer le temps à l’instant le plus propice. Tu te décris d’ailleurs comme une photographe de l’inattendu et de l’accident, non ?
J’ai appris par le montage que toute histoire a un début, un milieu et une fin. Trois mouvements qui ne vont pas forcément se raconter dans cet ordre selon le récit et le rythme qu’on veut créer. Changer l’ordre, accélérer ou ralentir donne une signification différente. L’enjeu pour moi était d’arriver à reproduire cette magie sur une image fixe, recréer le mouvement et l’inattendu dans ce moment figé. Cet instant propice n’arrive pas totalement par hasard. Il s’agit plutôt de faire des pas de côté, de créer les occasions d’un accident maîtrisé. Je me sens à ma place dans ce paradoxe, dans les bifurcations.

Quel est le lieu où tu te sens le mieux ? Es-tu plutôt une artiste nomade ou sédentaire ?
Je vis à Paris et j’aime beaucoup ma vie de Parisienne citadine toujours en train de courir ! Je me sens aussi à la maison quand je suis au bord de la mer. Mes grands-parents avaient une maison dans le Sud, face à la mer. La première chose que je faisais en arrivant chez eux, c’était d’ouvrir en grand les volets de ma chambre à l’étage, m’asseoir sur le rebord de la porte-fenêtre et rester là à regarder la mer et à m’imprégner d’elle. J’adore voyager mais j’ai besoin d’un point d’ancrage où me régénérer.

Es-tu plutôt solitaire ou aimes-tu la bande, le groupe, la foule ?
Encore un paradoxe, j’aime les deux ! C’est mon côté gémeaux probablement ! Que ce soit dans ma vie professionnelle ou personnelle, j’ai besoin de moments solitaires, de moments calmes et régénérants. Je suis très indépendante de nature mais je ne peux pas vivre sans ma tribu, elle est essentielle pour moi. J’ai besoin de rencontres, d’échanges, de liens. J’adore travailler au sein d’équipes différentes, m’imprégner des talents qui m’entourent et de leur univers, échanger nos visions. Chaque équipe développe sa propre énergie, je ressens que je m’épanouis vraiment au sein du collectif, et j’adore voir le résultat de ce que le « nous » produit.

L’adolescence est une vraie période de réflexion pour moi

Y a-t-il des époques qui t’inspirent plus que d’autres : une décennie, un âge d’or qui te fait rêver ?
Je ne suis pas nostalgique ou fascinée par une époque que je n’aurais pas connue. Chacune a existé et raconte quelque chose de la société d’aujourd’hui. Je suis bien plus fascinée par la transition vécue par chaque humain pour passer de l’enfance à l’âge adulte. L’adolescence est une vraie période de réflexion pour moi. J’ai l’impression que cette période est passée si vite que je n’ai pas eu suffisamment le temps d’en profiter. J’ai envie d’explorer ce thème encore davantage…

Quel serait ton plus grand rêve ?
En tant que photographe, j’aimerais beaucoup éditer un livre. J’ai conscience de la chance de pouvoir m’épanouir dans mon métier et j’aime l’équilibre que j’ai pu créer dans ma vie. Mon rêve, même s’il paraît modeste, serait de pouvoir continuer à faire ce que j’aime en restant libre, passionnée et entourée des gens que j’aime.

As-tu un mantra dans la vie ?
“Go with the flow”.

Quels sont tes projets en cours et à venir ?
Travailler sur la réalisation de mes rêves.