Clément Thoby[FRA]
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Chronique
Clément Thoby : La Californie, décor de rêve
« Je suis allé en Californie pour la première fois quand j’avais 17 ans. Cette région m’avait toujours attiré pour tout un tas de raisons, et notamment pour ses paysages. Comme n’importe quel ado j’étais séduit par le pop art et les films ». Avant de se consacrer aux paysages et aux pastels, Clément Thoby a travaillé pendant cinq ans en tant que décorateur dans le monde du dessin animé. Depuis ce premier voyage sur la côte Ouest, il est passionné par les paysages de Californie, dignes d’un décor.
« En allant en Californie j’ai ressenti cette fameuse énergie et cette lumière dont tous les gens parlent. »
SOUS LE SUNLIGHT DE CALI
Clément a de la chance, après ce premier voyage déclic, son frère s’installe justement dans le High Desert californien. Ce qui lui donne l’opportunité d’y retourner souvent et de séjourner longtemps. D’approfondir son coup de foudre pour la lumière californienne qui, comme celle du Sud de la France et de Collioure est propice à la création. C’est sur place, porté par cette luminosité caractéristique, que Clément commence à dessiner ses premiers paysages, devenus sa spécialité. À l’époque de ses voyages, il n’est pas encore familier avec le panthéon artistique californien. De retour en France, il se passionne pour les œuvres d’Edgard Payne, Maynard Dixon qui a peint toute sa vie le Sud-Ouest américain et bien sûr, David Hockney, cet anglais venu en Californie – qu’il a découvert comme Clément sur les écrans – vivre le rêve américain et tombé lui aussi sous le charme de la région. C’est à Los Angeles qu’il écrira « le chapitre le plus fécond de sa vie » raconte le journaliste Yann Perreau. « Le Golden State a d’abord cette lumière magique, cet horizon sans fin, qu’en paysagiste averti il observe depuis vingt ans dans les westerns et films hollywoodiens » dira le journaliste. Pour Clément, « c’est une clarté incroyable de 6h du matin à 18h et de l’espace, beaucoup d’espace ». Le voilà qui s’inscrit à son tour dans la lignée ultra prolifique des artistes californiens de sang, de cœur ou d’adoption.
L’INSPIRATION AU COIN DE LA RUE
« En allant en Californie j’ai ressenti cette fameuse énergie et cette lumière dont tous les gens parlent. Ce n’est pas une bêtise, ça existe vraiment. Quand j’y étais je me sentais très inspiré, j’avais l’impression que le moindre bout de rue allait faire une belle peinture ». On le disait dans notre dossier, Rêve Californien, entre soleil et irrésistible liberté, les paysages californiens sont cinématographiques, c’est bien pour cette raison que les studios de cinéma se sont installés dans la région au début du XXe siècle. Ces paysages parlent à notre décorateur. Clément raconte que lors de son premier voyage, il s’est concentré sur l’urbain, les villas et les rues. Et qu’il a découvert dans un second temps la nature californienne. « C’est extrêmement varié. Il y a autant la côte continentale que des zones intérieures ultra arides. Tu peux avoir une même crête avec d’un côté un désert de sable et de l’autre c’est verdoyant comme le Canada. Ça m’a beaucoup impressionné ». Clément aime aussi les palmiers, immenses. Symboles naturels du cool californien. Pour leurs silhouettes et leur rythme, et leur exotisme indéniable pour un parisien.
Clément évoque le style californien, « une touche très reconnaissable assez large, des lumières un peu fluo, une étude très particulière de la couleur ». Pour lui, la Californie c’est du bleu cobalt pour les ombres, du bleu cyan pour le ciel, du blanc pur, du rose, du jaune et du vert « très très vif ». Il mentionne aussi ce groupe d’artistes issus de l’animation qui peint le week-end et se rend dans le désert chercher l’inspiration. La vie d’artiste rêvée. Les couchers de soleil après une journée à dessiner, le surf le matin avant d’aller au studio. La vie californienne comme nous la raconte la pétillante Lauren Badenhoop. Avec ce genre de quotidien, difficile de ne pas être inspiré. « En Californie on roule 1h et on a l’impression qu’on change de pays et saison, ça c’est génial pour un dessinateur », ajoute Clément. 1 000 voyages en un.
Les villas de Palm Springs, les palmiers et le désert peuplent les paysages de Clément. À Palm Springs, il s’est baladé « comme dans un musée ». Impossible pour lui de s’imaginer vivre un instant dans de telles demeures. Non, Clément préfère les observer comme « un assemblage de formes géométriques pensées par un autre artiste architecte ». C’est la ville musée plus que la ville rêvée. Une oasis artificielle en plein milieu d’un désert gigantesque, à deux heures et demi de route de la civilisation. Une ville de retraités et de maisons secondaires où l’on ne croise personne. Ça nous rappelle la solitude nocturne des photos de Tom Blachford que nous vous présentions l’année dernière. À la différence que Tom, lui, souhaitait justement faire ressentir à travers ses images ce sentiment d’exclusion des outsiders à Palm Springs, où lui ne s’est jamais senti accueilli. Tom accentue le côté hyper sécurisé et protégé de ces villas de luxe, il nous laisse à l’extérieur, face aux portes de garage fermées, dans des rues sombres quant à l’intérieur, les fenêtres s’illuminent. Chez Clément, c’est le contraire. Il nous ouvre le chemin de ces villas avec ce qu’il appelle « des invitations », un chemin, une porte, une piscine, un tunnel. Il tente de nous faire entrer dans ce monde alors même que ces maisons sont conçues pour tenir l’étranger en retrait.
« C’est un état dans l’état, complétement à part, richissime, avec des inégalités CRIANTES »
PARADOXES à L’américaine
Les États-Unis sont un pays de contrastes. Peu de points communs entre la dynamique et multiculturelle New-York et l’état conservateur du Texas. Et même au sein d’un même état, ou dans une ville comme Los Angeles, les paradoxes demeurent. Si Clément tout au long de notre discussion ne cesse d’évoquer « la douceur de vivre californienne », il laisse échapper que Los Angeles est aussi « très agressive humainement ». « C’est un état dans l’état, complétement à part, richissime, avec des inégalités criantes que tu ressens d’une rue à l’autre. Pour un français, la ville peut paraître seulement business, bruyante, sale. » Mais il ajoute tout de suite, « en même temps les gens sont beaucoup plus à la cool, ils se fichent de comment ils s’habillent ». L.A. est donc à la fois décontractée et épuisante. Vivre dans la cité des anges, très peu pour lui. Clément rêve plutôt d’une villa du côté de San Francisco. « Vivre dans le centre de Los Angeles ou en plein milieu du désert, ce n’est pas du tout la même vie », précise-t-il. Et si la Californie reste un eldorado à la politique bien différente, pour Clément, elle fait « moins rêver qu’avant ». L’artiste distingue le voyage en Californie et l’expatriation pour de bon. « En termes de voyage beaucoup de gens veulent encore y aller, ça c’est sûr, mais y vivre et vraiment s’y expatrier par contre je ne sais pas si ça fait rêver tant de gens que ça ». Les américains, eux, bien que très patriotes, rêvent de Paris et de sa Tour Eiffel. Vouloir toujours être ailleurs. Les paradoxes de l’humain.