Margherita Marzotto[ITA]

  • Art & Peinture

Margherita Marzotto et la peinture, c’est avant tout une histoire d’obsession. Elle cite le Zahir de Borges  avant d’ajouter : « Très vite hantée par certains tableaux, notamment Caravage, le seul moyen de m’en débarrasser était de les copier. » De là est née sa technique, précise et puissante.

Interview

Le 01.04.2014 par Julie Maury

Originaire de la région de Vénétie, Margherita Marzotto a étudié l’histoire de l’art en Italie puis à la Sorbonne, où elle a fait ses deux dernières années. Elle commence le théâtre en arrivant à Paris il y a un peu plus de deux ans. Nouvelles rencontres, nouvelle langue. Déclic. Elle décide de s’investir à fond dans son art. La peinture devient catharsis. Son sujet de prédilection : les femmes. Fan absolue d’Oskar Kokoschka et d’Egon Schiele, impossible aussi de ne pas retrouver l’influence de Lucian Freud dans ses peintures. Ses œuvres sont figuratives, les traits des corps sont forcés. « J’ai commencé à peindre des femmes car l’image que la société renvoie d’elles m’intrigue. Et je suis une femme. Je peux parler de ce que je sais. »

 

L’art et les tripes

Dans sa première série de toiles, elle demande à ses modèles de se mettre à nu, face à un miroir. Libérées de leurs vêtements – repères directs de la société à laquelle on appartient – les femmes regardent en elles et apprennent à mieux se connaître, à travers leur reflet. Ce procédé permet de mêler à sa technique réaliste une certaine forme d’abstraction. Margherita Marzotto retranscrit la dualité des êtres dans tous ses travaux. « L’art est intéressant quand il prend aux tripes. A mon sens, l’art doit parler à tous et à tous les niveaux. » Elle cite Héraclite : « Ce qui est contraire est utile et c’est de ce qui est en lutte que naît la plus belle harmonie ; tout se fait par discorde. » Dans son travail, les contrastes créent la consonance. « Il y a quelques mois, un ami marchand d’art m’a mis dans les mains un tableau de Cranach, qui m’a obsédée, encore une fois. Je l’ai trouvé hyper contemporain et sensuel.  A l’époque, les filles qui posaient n’avaient pas 15 ans et les peintres les chargeaient d’ambigüité. » C’est l’éternel paradoxe de l’adolescence, « not a girl, not yet a woman » pour ne pas citer une chanteuse pop américaine. L’artiste décide alors de détourner Cranach. Ainsi, les Trois Grâces du maître de la Renaissance allemande apparaissent désormais sous les traits de Jenna Haze, star du porno encordée façon bondage « et fantasme de tous mes amis masculins », de Lindsay Lohan, une boule dans la bouche, et de Jessica Iskandar, actrice indonésienne, toutes deux croisées par l’artiste à Miami.

« J’ai été invitée à une soirée SM à New York par un collectionneur vietnamien. J’ai été impressionnée par toutes ces femmes à moitié nues, assumant pleinement leur corps et leur sexualité. C’est cette soirée qui m’a donné l’idée de mêler l’érotisme contemporain à celui de Cranach, la sexualité explicite à des corps implicites » explique-t-elle. Dans une autre série, Margherita Marzotto a peint des femmes habillées en marquises… aux toilettes. L’idée lui vint lors d’une soirée costumée organisée dans l’une de ses propriétés, dans la campagne anglaise, à laquelle elle a convié ses amis. Le thème : Marquis de Sade. « J’adore faire ça. Les déguisements nous permettent de nous désinhiber. On est ainsi paradoxalement, nous-mêmes. » Au cours de la soirée, l’hôte a l’idée de confronter femmes d’un autre temps (les marquises) à un environnement actuel (les toilettes entre copines). C’est le strict opposé de la série sur Cranach. On y repère l’inspiration du peintre Kirchner qui magnifiait au début du 20ème le nu féminin et l’amour libre, se foutant de la morale publique.

De la toile à la cire

Début 2013, Margherita accompagne son ami marchand d’art, parti vendre aux Etats-Unis un Basquiat au galeriste autrichien Rudolf Budja. Ce dernier flashe sur son travail et décide de l’exposer dans sa galerie quelques mois plus tard : 10 grandes toiles et des dizaines de dessins. « Sold out » en trois jours. Carton qui amène l’artiste à l’Art Basel de Miami tenue en décembre dernier. Après avoir vendu Ines à Lenny Kravitz, Margherita Marzotto expérimente un nouveau support : la cire. Elle expose des bandes dépilatoires montées sous forme de fleurs, sous cloche. Jolies céramiques de loin, les bandes pleines de poils forment des vagins de près. Répugnants pour certains, son œuvre est l’une des plus innovantes de la foire.

Invitée au prochain festival Burning Man, rencontre artistique dans le désert de Black Rock au Nevada, l’œuvre deviendra performance avec une esthéticienne sur place pour épiler les festivaliers volontaires. Margherita ne s’arrêtera pas là : Aidée d’un médecin biologiste et généticien l’artiste analysera poils et cellules mortes récoltés. « Burning Man est un phénomène culturel ultra moderne et à la mode. C’est intéressant d’étudier sa population. » Et quand la cire aura fondu, tous les patrimoines génétiques seront mélangés en une sorte « d’universalité humaine ». La forme n’est pas encore arrêtée, la réflexion reste ininterrompue.

Margherita Marzotti, A fleur de peau, sculptures à poils

Margherita Marzotto, A fleur de peau, sculptures à poils », wax, glass, mirror, September 2013

À Miami, le galeriste Steve Lazarides a également repéré la jeune italienne et une expo est prévue pour l’automne 2014. Lazarides expose entre autres, Jonathan Yeo, JR et bien sûr Banksy. La galerie est typée street art. « C’est intéressant d’y présenter mon travail qui n’est pas apparenté à ce mouvement. » Et en septembre 2014, les parisiens pourront découvrir les immenses toiles de Margherita, au Perchoir dans le 11e. Un collectif de jeunes artistes envahira le rez-de-chaussée, sur un espace de 500m2. Mais avant l’expo à Londres, avant le Perchoir à Paris, avant Burning Man au Nevada… Margherita Marzotto pratique la méditation. Elle parvient consciemment à se mettre en transe pour libérer son art de toute rationalité. A l’instinct !

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