Rêve Californien [1/6]

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Chronique

Le 14.09.2020 par Juliette Mantelet

Le Rêve Californien, entre soleil et irrésistible liberté

La Californie ou l’État le plus riche et le plus peuplé des États-Unis. Un coin mythique qui, même si l’on n’y a jamais mis les pieds, génère tout de suite des clichés nombreux, des images que l’on connaît tous et qu’on espère voir un jour de nos propres yeux.

Stations essence, routes infinies, plages de Venice Beach, surfeurs bronzés, baraques immaculées de Palm Springs, lettres d’Hollywood qui se détachent de cette colline emblématique… La Californie est cinématographique avec son décor de rêve, entre palmiers, mer, villes et montagnes ; artistique par sa lumière, attirante par son climat. « California dreamin’ on such a winter’s day » chantaient les Mamas & The Papas en 1965. En 2018, c’est l’efficace « Roule vers le soleil, vers la Californie » de Caballero & JeanJass. On embarque à bord d’une Ford Mustang direction la Côte Ouest, le soleil et l’été indien, pour tenter de comprendre comment la Californie est devenue cet indéniable emblème du cool. Une histoire d’eldorado, de ruée vers l’or, de liberté et d’art, bien sûr.

California here we come.

SOUS LE SOLEIL…

Le rêve californien, c’est d’abord l’histoire d’un climat clément et de richesses naturelles. La Californie c’est le Golden State, un état de la Sun Belt qui attire depuis la fin du 19ème siècle des migrants du monde entier pour son cadre de vie. C’est la conquête de l’Ouest, l’envie d’ailleurs.

On pourrait dire que l’histoire de la Californie commence le 24 janvier 1848 quand le suisse Johann Sutter, parti faire fortune aux États-Unis, découvre des gisements d’or sur ses terres. L’imaginaire californien est en marche. La ruée vers l’or, véritable épopée, va être contée, racontée. Elle est le sujet du roman L’Or, de Blaise Cendrars, publié en 1925. Et à l’époque, elle peuple les journaux, donne lieu à des dessins, des caricatures. « On est au bout du monde, dans des régions avec très peu d’habitants et on trouve ce qui est certainement le métal le plus recherché par l’humanité », décrit Annick Foucrier, auteure de nombreux essais sur la Californie. Cette ruée vers l’or est fondamentale dans l’histoire des États-Unis. C’est elle qui lance le mythe de l’American dream, cette promesse de prospérité dont la Californie est devenue le symbole absolu. Cette idée que l’on peut venir aux États-Unis en quête d’une vie meilleure, pour se réinventer et s‘enrichir à partir de rien. Dès le discours du président James Polk le 5 décembre 1848, qui authentifie la présence d’or en Californie, massivement repris par les journaux, plus de 400 000 personnes du monde entier débarqueront à l’Ouest.

La ruée vers l’or donne lieu à de nombreux récits des plus chanceux. Des grands écrivains s’en emparent aussi comme Mark Twain avec À la rude, Robert Louis Stevenson avec La route de Silverado ou encore Jack London. Avant cette ruée vers l’or, la Californie est une terre culturellement vierge, elle n’a pas encore d’histoire et de traditions, les populations indiennes ayant été rayées de la carte par ces nouveaux colons. Après la ruée vers l’or, elle est déjà mythique. C’est la construction du premier transcontinental, un chemin de fer de 3 200km de long entre Sacramento en Californie et Omaha dans le Nebraska, qui va parfaire le triomphe californien.

Après la guerre de Sécession, c’est pour son climat favorable et son soleil – elle peut se vanter de 320 jours d’ensoleillement annuel – que la Californie va continuer à attirer son monde. Elle se tourne vers l’agriculture et devient célèbre pour ses agrumes. Le chemin de fer se développe et permet de diffuser ses produits dans l’ensemble du pays. Depuis, elle est devenue le premier état agricole des États-Unis et produit 1/3 des légumes du pays. Dans cette histoire, c’est la publicité qui a joué un rôle clef. On a vendu à grand renfort de couchers de soleil, de plages, d’oranges et de citrons bien mûrs le paysage californien, sa douceur de vivre, son climat. C’est ainsi qu’est née l’architecture californienne avec ses célèbres ranchs. Comme celui du papa, dans le film À Nous Quatre, en plein cœur de Napa Valley, à cet endroit même où furent plantées les premières vignes californiennes. Cette vallée ensoleillée et aux sols variés se prête tout particulièrement à la culture du vin, à laquelle vont se consacrer de nombreux colons européens venus avec leurs cépages en poche. Aujourd’hui, la Californie c’est 90% du vin des États-Unis.

C’est the American way of life, celui qui se vit avec ses garages, ses grosses voitures, son botox et ses piscines.

C’est encore le soleil, en 1910, qui fait se déplacer les studios de cinéma de la côte Est à Hollywood. À l’époque, on filme principalement en extérieur et la Californie est un paradis pour les producteurs : son ensoleillement quasi permanent offre la possibilité de tourner dehors toute l’année avec une luminosité incroyable, et ses paysages naturels variés permettent de filmer dans la même journée une scène de western en plein désert et une comédie romantique au bord de la plage. Ce sont les films hollywoodiens qui vont asseoir à jamais la popularité de la Californie et de Los Angeles aux yeux de l’étranger. En France, 60 % des films projetés dans les cinémas proviennent aujourd’hui de Californie. C’est un soft power ultra puissant qui diffuse très largement une image idyllique du « Golden State ». Hollywood c’est Disney, Titanic, le succès de James Dean ou de Marilyn Monroe, les road movies à travers l’immensité américaine, Francis Ford Coppola, George Lucas, Steven Spielberg, Brad Pitt et Di Caprio dans Once Upon a Time… in Hollywood. L’histoire, on la connaît, c’est celle racontée par Damien Chazelle dans La La Land. Los Angeles, cette cité des rêves, où l’on vient s’installer avec l’espoir de faire carrière, plus dans l’or mais dans le cinéma, de devenir riche et surtout, célèbre. Les plus grandes stars s’établissent dans des villas démesurées, immaculées, super protégées, au milieu du désert à Palm Springs ou à Beverly Hills. Los Angeles devient la ville qui compte le plus de stars au kilomètre carré. C’est the American way of life, celui qui se vit avec ses garages, ses grosses voitures, son botox et ses piscines.

La dernière étape du succès californien, c’est bien sûr le développement dans les années 50 de la Silicon Valley, autour de San Francisco. La Californie triomphe dans le nouveau domaine de la technologie, sous l’impulsion des grandes universités du coin comme celle de Stanford. Toutes les plus grandes entreprises de High Tech viennent s’y installer et y génèrent plus d’un million et demi d’emplois. Apple, Google, Facebook, tous ont leur siège à la « Mecque de l’informatique mondiale », pour citer un article de French District. On y apprend que, « si la Silicon Valley devait être un territoire indépendant, elle serait la 12ème puissance économique mondiale ». Cette vallée, toujours novatrice, qui se tourne aujourd’hui vers les énergies renouvelables et les bio technologies.

Avec ses forces d’attraction et sa fureur de vivre, la Californie n’a eu de cesse d’attirer des immigrants nombreux, aux origines multiples, venus tenter leur chance à l’Ouest. Ils ont contribué à la peupler, à la façonner. Et ce sont les artistes, venus s’installer sur place ou y voyager un temps, qui ont forgé et enrichi cet imaginaire californien. Sans art, il n’y a pas de mythe. C’est aussi à travers l’art, les chansons de Bardot et les films de Rohmer, que la plage est devenue culte, comme nous vous l’expliquions dans notre dossier d’été, Sous le soleil, la plage. L’art commente, amplifie, embellit la réalité. Et nous invite à rêver.

UN ART DE Liberté

Parce que la Californie est à la fois sauvage et ultra moderne, parce qu’elle mélange villes bétonnées et grands déserts, vallées verdoyantes et océan, elle prête à un art prolifique. L’art californien, ce sont les récits des mineurs à la recherche de pépites d’or et les films hollywoodiens, mais c’est aussi le jazz West Coast des années 50, Sur la route de Jack Kerouac, les musiques des Beach Boys, les séries télévisées des années 90, Alerte à Malibu, Beverly Hills ou The OC, les photographies de Stephen Shore et William Eggleston. Impossible de tous les citer. La Californie est partout et s’infiltre dans toutes les formes artistiques. C’est un terreau propice à un art qui, peu importe les époques, les domaines ou les styles, se fonde sur une bonne dose de liberté.

Cette liberté à la californienne prend la forme d’une Ford Mustang lancée sur la Highway 1

Si la Californie attire et inspire les artistes, c’est parce qu’elle est à part. Elle est plus libre, plus contestataire et avant-gardiste, qu’ailleurs aux US. Cet état ensoleillé est depuis toujours le berceau de mouvements politiques et artistiques majeurs. Dans les années 50, c’est bien sûr le mouvement Beat Generation avec son roman fondateur, Sur la route. Ce manifeste qui devient le symbole de cette revendication de liberté et d’errance, de cette soif de vivre. De ce mouvement, prônant déjà la tolérance, en surgit de nouveaux, comme les mouvements hippie ou gay. C’est le Flower Power, qui naît à Berkeley, pour protester contre la guerre du Vietnam. Ou le Free Speech Mouvement, initié par les étudiants de Berkeley, toujours, prônant la liberté d’expression. C’est le légendaire Summer of Love à San Francisco en 1967 qui réunit plus de 100 000 jeunes du monde entier pour lutter contre le conformisme, œuvrer pour la libération sexuelle et le pacifisme. Une célébration sans précédent de la contre-culture hippie. « If you’re going to San Francisco, be sure to wear some flowers in your hair… » écrit dans une chanson John Phillips du groupe The Mamas & The Papas. Ce groupe, qui initiera en 1967 le festival de Monterey, un des premiers vrais festivals de musique, deux ans avant Woodstock. La Californie, c’est aussi la naissance du mouvement LGBT à San Francisco, avec le Gay Liberation Movement, et la figure inoubliable d’Harvey Milk. C’est aussi en Californie que le Black Panther Party a vu le jour, ce mouvement révolutionnaire formé en 1966 à Oakland et qui lutta sans relâche pour les droits des Afro-américains, le poing levé. Et dont l’héritage est plus que jamais repris aujourd’hui, à l’heure des manifestations du mouvement Black Lives Matter. La Californie est unique, libre, elle résiste.

« Down on the West Coast, I get this feeling like it all could happen »

Cette liberté à la californienne prend la forme d’une Ford Mustang lancée sur la Highway 1, avec la musique à fond, les paysages qui défilent, les fenêtres ouvertes, les cheveux au vent et l’infini comme seule destination. La Californie est un état immense, plus grand à lui seul que l’Espagne. Forcément, il se parcourt en bagnole. La liberté à la californienne, c’est le road trip. Comme nous le dit l’aquarelliste Julien Lischka, dont l’interview est à suivre dans ce dossier, on a tous une playlist que l’on rêve d’écouter un jour dans une voiture lancée sur une autoroute californienne, sous le soleil, le nez dans les palmiers. Pour moi, ça serait Lana Del Rey, Ride. « I just ride ». Qu’ont en commun les écrits de Kerouac, des films comme Thelma et Louise ou Little Miss Sunshine, les photos de Stephen Shore ou celles de Carly Palmour ? Tous mettent en scène cette imagerie du road trip, ultra cinématographique. Les routes, les motels, les stations essence au milieu du désert, les diners abandonnés, les néons, les panneaux de signalisation. Des symboles. L’autre image du cool, qui est pour toujours associé à cet esprit californien, c’est le surf. Cette beach culture et ce mode de vie dont nous vous parlions dans notre dossier, La nouvelle vague du surf. Prendre la vague, c’est comme prendre la route. C’est se lancer dans l’inconnu, prendre du plaisir, assumer sa liberté, s’éloigner du matériel, revenir à la nature. On roule souvent des heures à la recherche de la vague parfaite. Et les deux activités s’accordent très bien sur fond de Beach Boys.

Cet héritage culturel continue toujours à faire se déplacer les artistes, curieux de vivre à leur tour leur expérience californienne, attirés par cet héritage culturel monumental, imposant, éternel. « Down on the West Coast, I get this feeling like it all could happen » résume Lana Del Rey. On a tous envie d’aller voir ce qui s’y passe. Mais l’image de cet eldorado légendaire résisterait-elle au voyage ? Le réel finit toujours par rattraper le rêve. Et aujourd’hui, la réalité californienne est loin des paillettes et du glamour. La Californie est l’une des victimes les plus flagrantes du réchauffement climatique. Elle s’urbanise sans cesse, grignotant toujours plus les zones boisées et son agriculture intensive assèche les rivières et les nappes phréatiques. Résultat : 7 571 incendies dans le Golden State en 2018. Et au moment même où s’écrit cet article, elle s’enflamme encore suite à une vague de chaleur sans précédent. Ces derniers jours, des feux de forêts ont ravagé plus de 8 000km2 et l’on a vu circuler des images impressionnantes de ciel orange d’apocalypse. Ses plages emblématiques, elles, sont menacées par la hausse du niveau de la mer. La vie n’est pas une comédie hollywoodienne. Des Raisins de la colère de Steinbeck à aujourd’hui, où la Californie reste l’un des états les plus inégalitaires des États-Unis avec ses 131 milliardaires et ses 13,8% d’habitants vivant en dessous du seuil officiel de pauvreté, les laissés pour compte sont nombreux. C’est ce que dénoncent des artistes comme Tom Blachford ou Laurence Jones avec leurs œuvres plus sombres, plus dures. Mais même dans sa noirceur, la Californie inspire. Place à nos artistes et à leurs interprétations, entre rêve et (ir)réalités.

Retrouvez le dossier au complet sur nos artistes du rêve californien avec
[2/6] Clément Thoby, la Californie décor de rêve
[3/6] Lauren Bandenhoop, vie rêvée à LA
[4/6] Tom Blachford, l’envers du décor
[5/6] Julien Lischka, coup de foudre à LA
[6/6] Carly Palmour, sur la route

Image de couverture : © Julien Lischka

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