Alice Kong[FRA]
Interview
On vous a déjà parlé d’Alice Kong plusieurs fois sur Tafmag, pour ses photographies mais aussi pour son travail avec Charline Mignot, alias Vendredi sur Mer. C’est d’ailleurs pour la chanteuse suisse qu’elle a réalisé son premier clip, « La Femme à la peau bleue ». Pour Alice, pour qui le cinéma et la vidéo semblaient autrefois un rêve impossible, la roue a bien tourné puisqu’elle multiplie aujourd’hui les clips aboutis aux univers colorés, décalés et rétro pour tous les artistes émergents du moment.
Alice Kong © Pierre-Emmanuel Testard
Après avoir parlé un peu au hasard de nos articles de ses photos, de son premier clip, de son engagement féministe et après avoir misé sur elle dans notre book « Bubble Gum », on a décidé qu’il était temps de nous poser plus longuement avec Alice Kong pour vous présenter son parcours artistique plus amplement.
Cette toute jeune artiste (24 ans depuis peu) jongle entre photographie et vidéo, préfère l’argentique quoi qu’il arrive mais se dit l’enfant d’Internet. Son rêve ? Réaliser une série sur sa vision du futur. Alice Kong est une passionnée qui se met à 100 % dans les projets qu’elle aime et qui s’amuse des paradoxes de sa personnalité et de son art. Elle se dit « maximaliste » avec cette envie dévorante de vouloir tout faire à la fois, du comique et du drame, de la photo et de la vidéo, du rétro et du futuriste. Ce qui est sûr, c’est qu’avec Alice on ne risque pas de s’ennuyer.
MISS INTERNET
« Internet, c’est ma mère » déclare très vite Alice, sans réserve, dès que l’on se met à évoquer sa formation. La jeune réalisatrice est souvent catégorique dans ses réponses. Elle a un tempérament bien affirmé et une pensée assumée et surtout très optimiste. « Si je fais de l’image c’est vraiment grâce à la technologie » explique celle qui assure avoir commencé à travailler sur Photoshop à six ans à peine. Elle a tout testé, le graphisme, la photo et la vidéo et maîtrise tous les outils techniques nécessaires à ces pratiques variées.
Alice est bien une artiste de la génération Y. Quand on lui parle de ses références ou de ses mentors artistiques, elle assume très bien de ne pas connaître « les grands maîtres » et nous explique qu’elle puise surtout ses inspirations dans les réseaux sociaux qui ont permis de rendre l’art bien plus accessible.
« Je suis née dans l’ordinateur, j’ai donc une culture Internet de l’art. »
Instagram, Pinterest sont ses sources privilégiées pour trouver des idées. Alice « consomme des images en permanence » et nous montre même cette note dans son téléphone remplie de toutes les idées qu’elle a eues en parcourant les réseaux. Des tonnes de captures d’écran d’images qui l’inspirent peuplent son portable. « Regarder tous ces trucs que j’ai enregistrés ça me donne des idées qui peuvent matcher avec un projet sur lequel je suis ». À force, elle s’est forgée ses propres références, qu’elle est la seule à connaître, mais qui fonctionnent. « Je n’ai pas une culture classique » s’amuse-t-elle.
C’est aussi grâce aux réseaux sociaux, qui « rapprochent les gens en les réunissant sur une même plateforme« , qu’elle s’est retrouvée dans le milieu musical indé. Un jour, raconte-t-elle, le manager de Vendredi sur Mer lui a écrit sur Facebook en lui disant : « On aime ce que tu fais, on voudrait faire un truc avec toi mais on ne sait pas quoi« . Depuis, Alice a déjà réalisé deux clips à succès pour Charline, mais aussi pour Lewis OfMan, Teeers ou encore plus récemment Pi Ja Ma, faisant ainsi de la musique émergente son milieu de prédilection.
Alice, ou la miss Internet, a donc, forcément, une vision hyper positive de cette génération 2.0, loin d’être assistée. « Une génération super débrouillarde et touche à tout grâce aux réseaux et aux nouvelles technologies » décrit la jeune réalisatrice. Et qui a surtout tous les outils à disposition pour faire les choses de manière indépendante, « une chance immense ».
Et pour elle qui immortalise de nombreux artistes de cette génération, elle souligne d’ailleurs que leur point commun est justement cette débrouillardise : « Ils se démerdent tout seuls, ils sont tous autodidactes. S’ils ont envie de faire quelque chose, ils le font ». Mais pour ne pas donner raison à la célèbre série d’anticipation dramatique « Black Mirror », la jeune femme précise qu’il faudrait néanmoins instaurer une véritable éducation des réseaux sociaux pour apprendre, notamment, à faire la part des choses. Et elle conclut vite, encore une fois catégorique, « Notre époque est géniale et ça n’était pas du tout mieux il y a 20 ou 30 ans ».
« Pour percer, tu n’as plus besoin d’être chez Universal ou qu’on vienne te cueillir dans un bar pour faire de toi une star. »
LE KONG COCKTAIL
On comprend très vite qu’Alice aime les mélanges. Elle veut aborder tous les genres et tous les styles, pour combler, peut-être, son envie de tout faire et éviter, aussi, de devoir choisir entre ses différentes amours. Son rêve est d’ailleurs de créer des œuvres mixant le rire, les émotions et les énigmes. Un pari déjà réussi dans son premier clip pour Vendredi sur Mer, « La femme à la peau bleue« , où dans un univers rétro un peu absurde, une femme mystérieuse évolue gracieusement.
Et puis Alice va aussi prononcer cette phrase à la fois superbe et très ambitieuse (mais après tout ne dit-on pas qu’il faut avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue ?) : « J’aimerais beaucoup réussir à être l’enfant de Woody Allen et de Xavier Dolan ». Son idéal : reprendre les codes de la comédie romantique un peu rétro et magique à la Woody Allen et l’unir au naturel et à « la spontanéité qui donne envie de pleurer » de Dolan. Faire rire et émouvoir.
Mélanger les genres dans ses scénarios donc, et mixer aussi les styles à l’image. Si à première vue l’univers de ses clips a l’air très rétro, par les tenues utilisées, les couleurs choisies, Alice explique que pour elle, il est plutôt intemporel ou « rétro-futuriste ». Elle joue là aussi dans son esthétique sur des ambiguïtés et des fusions improbables. Et même dans ses thèmes, la réalisatrice adore montrer à la caméra des amours décalées ou qui mêlent les genres. Un humain et un monstre vert, deux filles, une femme à la peau bleue…
Une autre de ses contradictions qui font son charme pointe son nez un peu plus loin dans la conversation… Alice se dit fille d’Internet et fana de technologies mais pourtant, ne shoote qu’à l’argentique. On se permet quand même de relever l’ironie de la chose. « La pellicule c’est hyper important dans ma vie » nous explique-t-elle. Et elle ajoute, « je suis pleine de contradictions » et part dans un fou rire. Ensuite, elle se justifie : « Je ne connais pas de beaux films en numérique et je vous mets au défi d’en citer un ». Elle énumère ses références cultes de « Breaking Bad » à « Desperate Housewives », sans oublier les films de Dolan, tous tournés à l‘argentique. CQFD.
FUTUR IS THE NEW COOL
Alice défend aussi à travers son esthétique une vision du futur un peu différente, bien loin de celle présentée dans la série « Black Mirror » qu’elle évoquait plus tôt. Une vision optimiste et réaliste à la fois. Évidemment, pour elle, le futur sera « LE mélange des styles » par excellence où évolueront des « hippies futuristes ». Un monde (presque) parfait où les gens auront complètement adopté l’ouverture d’esprit et intégré le féminisme, l’acceptation de tous et l’écologie. « Il y aura de l’herbe partout avec des grosses fleurs et tout le monde sera cool, relax et tolérant. En fait, ça sera les années 60 et aussi 3 060. » démontre-t-elle, pensant encore une fois en double.
« Moi, le futur je l’imagine avec des gens qui boivent du lait d’amande plutôt que des gens en mode robotique hyper froids ». Cette vision du futur, la réalisatrice rêverait d’ailleurs de la présenter un jour dans un court-métrage ou mieux, dans une série. C’est son « but ultime ». Un projet qui serait, bien sûr, drôle, émouvant et intelligent… À son image !