Venetia Berry[GBR]

  • Art & Peinture

Interview

Le 17.01.2020 par Juliette Mantelet

Interroger la représentation du corps de la femme et en proposer une vision plus vraie, c’est le défi de Venetia Berry, artiste émergente incontournable de la scène londonienne. On vous parlait déjà d’elle il y a quelques jours, elle vient de signer une collection avec la marque de cuir made in East London, Paradise Row, où le corps féminin vient décorer de ses courbes gracieuses un sac à main intemporel.

BIEN DANS SES COURBES

Son art est abstrait, joyeux, féministe. Tout ce qu’on aime. Il nous rappelle Miró par la simplicité de ces formes qui flottent sur fonds colorés. Venetia peint l’idée de la femme, son empreinte, ses lignes. Plutôt qu’un corps réaliste, parfait, idéalisé, comme trop souvent. Personnellement, elle n’a jamais été à l’aise avec son corps. Elle trouve sa poitrine trop grosse, a longtemps joué les garçons manqués… Mais souhaite, quoi qu’il en soit, pouvoir être elle aussi représentée dans l’art. Faire une place pour celles qui n’ont pas les mensurations d’un mannequin. L’art, thérapeutique, l’a aussi aidé à assumer sa féminité et son corps. Artiste pleinement engagée, la jeune femme participe souvent à des panels et des talks pour poursuivre hors de la toile sa promotion d’une image plus large du corps des femmes.

Venetia nous a ouvert la porte de son atelier, dans le quartier cosmopolite et arty de Brixton, à Londres. On a découvert un immeuble hyper cool, entièrement composé de petits studios pour artistes. Un endroit incroyable, fourmillant, inspirant. Dans son espace à elle, Venetia expose ses œuvres mais aussi des céramiques de sa création et accroche surtout des cartes postales des expos où elle se rend et des artistes qui l’animent : Lee Krasner, Modigliani, Yayoi Kusama… Autour d’un petit thé – on est à London après tout -, Venetia nous a livré sa vision bienveillante du corps de la femme, loin du summer body. Rencontre.

Pourquoi PEINDRE le nu féminin ?

C’est une réflexion plus large autour de ce qu’est ma vie. Je me suis mise à peintre le nu féminin avant même de vraiment réaliser ce que je faisais. Un de mes professeurs m’a dit un jour : « C’est bien, mais tu devrais penser aux raisons pour lesquelles tu peins ça ». Tout tourne autour du corps féminin pour moi. Je n’ai jamais été une fille très à l’aise avec son corps. J’ai l’impression d’avoir grandi dans un monde où il fallait absolument avoir cette morphologie type que l’on voyait partout. Il n’y avait aucun moyen de s’en échapper. Peindre le nu féminin est aussi un moyen pour moi de changer la vision que j’ai dans ma tête de ce à quoi une femme devrait ressembler. La façon dont les gens se représentent la femme. Et célébrer la forme féminine sous toutes ces courbes. J’aime les grandes tailles, les tailles 10.

Pourquoi l’abstraction ?

Je me souviens avoir appris dans un cours d’Histoire de l’art comment Picasso était parvenu à peindre quelque chose que l’on pouvait reconnaître, mais sans que ça y ressemble vraiment. Et j’adore cette idée de laisser son imagination travailler, de s’y perdre. Beaucoup de gens peuvent peindre des choses réalistes, une orange qui ressemble à une orange. Je préfère peindre quelque chose de plus unique qui vient complétement de mon imagination. On peut toujours reconnaître la forme de la femme dans mes toiles, mais c’est juste une ligne où l’on peut peut-être réussir à apercevoir une jambe, même si ça n’y ressemble pas tout à fait. Et j’aime observer la façon dont le cerveau reconstruit cela et que chacun puisse y voir des choses différentes. Parfois des gens me disent : « oh ça je pensais que c’était son dos ». C’est aussi pour cela que je n’utilise que des couleurs qui ne sont pas naturelles pour un corps. Pour que toutes les femmes, peu importe leur couleur de peau, puissent se reconnaître.

« J’ai l’impression d’avoir grandi dans un monde où il fallait absolument avoir cette morphologie type que l’on voyait partout »

Tu veux changer la représentation de la femme mais tu utilises beaucoup de rose ?

J’ai passé toute mon enfance à ressembler à un vrai tomboy. Je refusais carrément de toucher à quoi que ce soit de rose. Je ne portais que du vert. J’ai même été surnommée Tom pendant des années. J’étais vraiment malheureuse d’être une fille. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Toute ma vie j’ai rejeté mon corps, je ne l’ai jamais aimé. Donc utiliser du rose aujourd’hui c’est un peu ma manière d’embrasser cette féminité que j’ai toujours repoussé. Je n’aurais jamais peint en rose auparavant.

Quelle TECHNIQUE utilises-tu ?

Ces derniers temps je peins de grandes toiles à l’acrylique. Avant j’utilisais de la peinture à l’huile. On perçoit souvent l’acrylique comme de la peinture pour enfants, mais il en existe en fait de très bonne qualité et c’est un medium qui est toujours animal free, ce qui est fondamental pour moi. Vous seriez choqué du nombre de fournitures d’art qui sont en fait composées avec des produits animaux. C’est fou ! Je travaille aussi très vite et avec l’huile tu dois faire une première couche, puis attendre trois jours qu’elle sèche… Ce qui amène beaucoup de réflexions. L’acrylique est plus spontanée.

Matisse est aussi l’une des tes inspirations, comme beaucoup d’artistes EN CE MOMENT. Pourquoi cet engouement SELON TOI ?

Parce qu’il était un vrai admirateur des femmes. Ce n’est pas comme certains artistes qui ont eu des attitudes contestables et problématiques. Et Matisse représentait particulièrement bien leurs courbes. Elles sont vraies. Son travail est à la fois complexe et simple. C’est exactement ce à quoi je veux parvenir. Et il était aussi un coloriste incroyable. C’est juste ce genre d’artistes qu’on ne peut pas ne pas aimer. L’exposition sur ses collages à la Tate Modern en 2014 a été une des expositions les plus populaires à Londres. On a tous grandi avec Matisse.

Quelles représentations de la femme te choquent le plus ?

Il y a beaucoup de toiles de nu féminin peintes dans le passé par des artistes masculins qui posent problème.  Qui montrent les femmes comme des coquilles vides, incapables d’aucune pensée. Juste purement comme des objets de désir. Quand je regarde des nus réalisés par des hommes j’ai l’impression souvent que la femme n’a rien dans la tête, n’a aucune complexité. Souvent les femmes peignent les femmes de manière plus vraie, en embrassant leurs courbes, leurs différentes facettes.

Peindras-tu un jour les hommes ?  

J’en ai déjà peint par le passé, mais ce n’est pas vraiment quelque chose qui m’intéresse. Je n’ai pas beaucoup à dire sur ce sujet car je ne suis pas un homme, tout simplement. Et c’est tellement agréable de peindre les courbes.

Comment expliquerais-tu ton art à un enfant ?

Je lui dirai que ce sont pleins de différentes formes colorées qui s’allient ensemble pour créer quelque chose qui ressemble à un corps de femme.

« On a tous grandi avec Matisse. »

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