Lou Ann Coulon[FRA]
- Illustration
Chronique
Lou Ann Coulon, adieu corps parfaits d’été
On poursuit notre dossier ensoleillé Sous le Soleil la plage, une histoire d’érotisme en société avec Lou Ann Coulon, une illustratrice du sable. Ou plutôt des femmes sur le sable, libres dans leurs corps. Loin du diktat des corps parfaits d’été. « Ma plage de rêve se trouverait sûrement sur une île déserte sur laquelle il y aurait mes amis, un bar à cocktails et moi », écrit la jeune femme pour qui la plage rime avant tout avec évasion, partout dans le monde.
Et si depuis le confinement, vous ne voulez plus quitter votre canapé, voyagez grâce à ses illustrations au goût d’été disponibles dès maintenant sur notre galerie en ligne, collection été 2020, pour ensoleiller votre intérieur.
« Les plus belles plages sont et resteront celles du Bassin d’Arcachon. »
PETIT TOUR SUR LE BASSIN
Avec les dessins de Lou Ann, c’est la plage suggérée, rêvée. Une ambiance estivale. Rien de trop précis, juste quelques couleurs, des femmes en maillot, pour que chacun puisse s’imaginer sur « sa plage préférée ». L’illustratrice nous parle de la sienne. Cap au Sud-Ouest.
En tant que bordelaise, Lou Ann a grandi avec la mer à portée de main. Forcément, quand on lui parle de plage les souvenirs se bousculent. Ses préférés, ce sont ceux des plages en famille. Un « vrai rituel » avec ses parents, ses grands-parents et ses cousins. On imagine la famille Coulon, serrée dans un grand monospace, avec les bouées colorées qui dépassent du coffre, foncer vers le large. Et le Bassin. Car bien sûr, pour une bordelaise, les plus belles plages du monde se trouvent autour d’Arcachon. « Du Cap Ferret jusqu’à la côte basque, c’est là que se trouvent mes plus beaux souvenirs de plage. C’est peut-être très chauvin de ma part mais pour moi, les plus belles plages sont et resteront celles du Bassin d’Arcachon ». Ça tombe bien, cet été l’heure est au chauvinisme. Et on s’imagine déjà, avec un petit verre de vin blanc frais, et quelques huîtres, face à la dune du Pilat, le banc d’Arguin et les cabanes tchanquées… Ô la belle vie. Ces plages du Cap qui ont servi de cadre aux Petits Mouchoirs de Guillaume Canet et qui inspirent les marins du groupe Poudre Noire. Justement, la plage préférée de Lou Ann – oui, contrairement à Quentin Monge, elle a bien voulu nous la dévoiler au risque qu’on la retrouve tous cet été – c’est celle du Canon. Ce petit village de pêcheurs aux cabanes en bois colorées et aux petites ruelles endormies. Celles dont nous parlaient Pierre et Antoine de Poudre Noire dans notre dernière interview du groupe. Lou Ann nous fait rêver : « Après s’être faufilés entre quelques cabanes colorées, on tombe sur une petite plage de sable fin. Des forêts de pins à gauche, la dune du Pilat à droite et à l’horizon, une étendue d’eau qui se jette dans l’océan. Les couchers de soleil sur cette eau calme sont les plus beaux pour moi. » Si on ferme les yeux bien fort, on y est. C’est écrit à l’encre de seiche.
échappatoire ensoleillée
Lou Ann, son soleil et ses femmes à la peau noire sur le sable nous emmènent loin, dans « un moment d’évasion ». Un temps loin du quotidien, pour soi. Une échappatoire qu’il faut vivre impérieusement dans l’instant présent. Plus qu’un lieu à part comme nous l’évoquions dans notre dossier dédié, la plage est surtout un moment parenthèse, au goût de vacances, de sel et de crème solaire, peuplé de sensations vécues par les corps. « Que ce soit au bout du monde ou en bas de chez soi, la sensation du sable chaud et l’odeur de crème solaire nous font tout de suite basculer en été, au soleil, loin des problèmes du quotidien. Parce que c’est aussi ça la plage, un moment de détente presque hors du temps », raconte Lou Ann.
La dessinatrice ajoute que la plage, c’est aussi une question d’orientation et un retour à la nature. Essentiel. Bien sûr avant de se poser sur le sable on cherche la meilleure place, pas trop au soleil, mais pas non plus à l’ombre. Pas trop près des flots pour ne pas subir la marée mais pas trop éloignée pour ne pas parcourir des kilomètres pour se jeter à l’eau. Mais finalement, peu importe la place, car sur la plage quoi qu’il arrive « on tourne le dos aux bâtiments, au travail de l’homme ». On se reconnecte avec la nature brute, pure. On laisse le sable nous picoter la peau, on enveloppe son corps du sel des embruns. « On regarde la nature telle qu’elle est », confirme Lou Ann. C’est le désir du rivage d’Alain Corbin. Là, maintenant, on en rêve. Se poser sur une bande de sable, laisser son dos rougir au soleil et nous cacher les rappels de la vie quotidienne, plonger son regard vers le large, le loin, l’ailleurs.
Dans ses illustrations légères et bonheur, Lou Ann évoque cette parenthèse enchantée avec la présence éternelle du soleil. Parfois orangé et plein, parfois simple tache jaune, il est là, toujours au Zénith. Sous le soleil, la plage. Sans lui, fini les plaisirs d’été, les châteaux de sable et la bronzette. Forcément, les femmes que dessine Lou Ann sont méditatives sur le sable. Elles profitent de ce moment hors du temps. « Je dirais qu’elles font ça mes femmes sur la plage, elles se posent un instant et prennent un moment rien qu’à elles. »
« Il n’y a pas qu’un seul type de corps à la plage »
ADIEU CORPS D’été PARFAITS
Plus que pour l’esthétisme du cadre de plage, c’est pour la « beauté du corps féminin » que Lou Ann s’est mise à la dessiner. À la manière de Quentin Monge dont l’attrait artistique pour ce lieu est surtout lié à son côté « ultra-sensoriel », à cet hédonisme érotique de plage évoqué dans notre dossier d’introduction. Mais attention, Lou Ann précise tout de suite qu’elle ne veut pas représenter n’importe quel corps de femme. Et surtout qu’elle veut casser le mythe du corps d’été parfait, ce summer body type qu’on se devrait d’avoir si l’on en croit les pubs et les magazines modernes. Un corps de saison qui se prépare et se travaille dès le mois de janvier. Et qui en angoisse plus d’un, qui redoutent alors ce dévoilement d’été. « La société nous a conditionnés à porter attention à notre corps en maillot de bain à travers des articles, des reportages, des régimes qui portent tous ce message du corps qui doit être parfait en été. » C’est une pression inconsciente mais qui pèse lourd. « Il n’y a pas qu’un seul type de corps à la plage » soutient l’illustratrice qui dessine un corps féminin détaché de toutes ces images faussées et intégrées par tous.
Lou Ann ne perçoit pas les corps à la plage d’aujourd’hui de la même façon que Quentin Monge. Deux illustrateurs. Deux mondes de plage. Si Quentin regrette lui un retour à un certain voilement des corps, en comparaison aux années 70 et à la libération sexuelle, ère suprême du topless, Lou Ann, elle, remarque plutôt une génération « qui s’accepte de plus en plus ». Le mouvement du body positivisme, qui triomphe sur les réseaux et dans le milieu de l’illustration (cf notre dossier sur Le Portrait de la Femme), qui consiste à représenter la diversité des corps avec bienveillance, se poursuit jusque sur les plages. « On s’assume un peu plus facilement qu’avant car on commence à accepter le fait que tous les corps soient différents et que le corps parfait n’existe pas » résume Lou Ann. Il serait donc fini le temps du mythe de la bombe de plage, comme l’ordonnait la chroniqueuse Célia Héron. Bien sûr, déconstruire des années de clichés, de Brigitte Bardot et ses coquillages de la Madrague ou de Pamela Anderson à Malibu ne se fait pas d’un claquement de doigt. Pour l’illustratrice toutefois, les choses avancent. Notamment grâce à une nouvelle génération de femmes qui « sait se défendre et ne se laisse plus rabaisser ».
« Si on s’aimait tous un peu plus peut-être que ça résoudrait une partie du problème. »
Les illus de Lou Ann mettent en valeur cette diversité et cette universalité des êtres. Ses femmes sont dessinées avec le corps toujours en noir pour « ne pas les associer à un type de femme en particulier, ou à une couleur de peau précise ». Elles portent des maillots de bain de toutes les formes, contrairement à ce qui est souvent proposé dans le monde bien réel et les magasins. Des deux pièces, des brassières, des décolletés plongeants ou ronds, qui s’adaptent à toutes les morphos. Ses femmes sont libres d’être elles-mêmes. Libres de leurs corps, de son exposition. Et si Lou Ann fait un focus sur elles, c’est parce qu’elle pense que les hommes « ont déjà été assez représentés ». Lou Ann rejoint ainsi Rebecca Brodskis ou Léa Augereau de notre dossier sur Le Portrait de la Femme à travers les siècles et affirme à son tour : « il est temps de représenter les femmes, et de les représenter telles qu’elles sont ». Et si un jour, elle dessine les hommes, ça sera comme elle le fait avec les femmes, pour montrer quelque chose que l’on ne met généralement pas en avant chez eux… Leur sensibilité, par exemple.
Lou Ann constate donc avec joie ce changement en cours et espère surtout que les générations suivantes poursuivront ce mouvement d’acceptation de soi, des autres, des différences, sur les plages comme ailleurs. Et si pour réussir cette bataille des corps, encore loin d’être gagnée, il fallait déjà apprendre à s’aimer un peu soi-même ? C’est en tout cas ce que défend la jeune illustratrice : « Le seul corps qui devrait compter, c’est le sien. La seule chose qui devrait compter c’est comment on se voit soi-même. Apprendre à aimer son corps avant de critiquer celui des autres. Car les critiques viennent souvent soit de l’envie, soit du dédain. On compare son propre corps à celui des autres. Mais je pense qu’à partir du moment où on accepte notre corps tel qu’il est, qu’on apprend à l’aimer et qu’on est bien dans notre corps, on est moins enclin à critiquer celui des autres. Si on s’aimait tous un peu plus peut-être que ça résoudrait une partie du problème. » Cet été, sur la plage, on répandra alors des ondes de self love ensoleillé.