Sarah Maple[GBR]

  • Photographie & Cinéma

Chronique

Le 30.04.2019 par JULIETTE MANTELET

Que vous soyez en France, au Royaume-Uni et probablement n’importe où dans le monde, vous avez forcément remarqué que le Brexit est aujourd’hui au cœur de beaucoup d’esprits et de nombreuses préoccupations. Entre deux épisodes de « Game of Thrones » et quelques morts de plus, le Brexit est devenu une sorte de nouvelle série à suivre, un dernier épisode incertain et une fin de saison imprévisible. Alors que les français installés en Grande-Bretagne attendent, fébriles, le verdict pour connaître leur sort, les artistes anglais, eux, décident d’utiliser leur art pour illustrer cette actualité kafkaesque et garder un témoignage de cette période inédite.

On le sait, les tensions sociétales sont propices à l’art. Le moment de créer est bien présent chez les anglais, où les artistes réfléchissent à l’identité britannique. Surtout, ils tâchent de prouver qu’elle est intimement liée à la multi culturalité. C’est le cas par exemple du célèbre photographe britannique Martin Parr, dont les portraits sont exposés à Londres jusqu’au 27 mai. Il évoque le Brexit à travers des portraits aux identités et origines multiples puisque c’est pour lui ce qui représente son pays mieux que tout. Sarah Maple, photographe anglaise aux origines kenyanes et indiennes a choisi quant à elle de composer des images pop complètement inventées pour mieux s’attaquer aux slogans virulents de cette période trouble.

‘I want my country back’

À première vue, les images de Sarah sont très esthétiques. Gros plans colorés et soignés, drôles et décalés. Mais elles soulèvent en fait des questions bien plus politiques. Les photos racontent ce qui a le plus choqué l’artiste dans cette période complexe : si le Brexit est définitivement une période inspirante de créativité, elle n’est pas pour autant une période positive. Beaucoup de mensonges ont été proférés, c’est « beaucoup à digérer » selon Sarah Maple. La photographe est lasse des phrases prononcées et slogans chocs, entendus pendant la campagne du Brexit autour de cette fameuse sortie de l’UE. Et comme toujours en période de crise, dans les nombreux discours et discussions anglaises, ce qui revient surtout c’est la question des valeurs britanniques ; celle que pose Sarah : « Qu’est-ce que cela signifie réellement d’être britannique ? ».

Pour réaliser sa série, la photographe a donc combiné les phrases clefs prononcées pendant le Brexit et les clichés de la culture anglaise : le thé, le fish & chips, les boîtes aux lettres rouges, le drapeau anglais, la reine ou encore les scones. Sarah l’engagée, a donc imaginé entièrement des images pour servir son propos. Elle s’est servie de phrases des politiciens du Brexit comme ce « I want my country back » ou plus simplement « Go home » et a fabriqué des situations typiquement anglaises sur lesquelles les superposer. On découvre alors ce portrait de la reine avec le cinglant : « Taking our jobs ». Des images de pures mises en scènes mais qui ne peuvent qu’interroger le spectateur. Lui faire se questionner la véracité du moment et bien entendu, du propos… Et ici, la violence et la haine contenues dans ces phrases permettent de montrer aux anglais « ce que nous sommes en train de devenir comme pays », explique Sarah. L’artiste dénonce notre société où les sentiments comptent plus que les faits et où s’emporter est devenu signe de succès politique – Trump ou Bolsonaro en tête. En combinant les stéréotypes de la Grande-Bretagne et ces phrases choc, Sarah crée un double sens réflectif. Au premier regard on croirait poser les yeux sur des images innocentes et inoffensives, des clichés de la vie anglaise et en y regardant de plus près, on découvre des slogans durs, graves, preuves d’un repli identitaire inquiétant. Le spectateur est frappé, forcé alors de réfléchir à deux fois. Un peu comme pour le Brexit où après l’emballement dans les urnes, les électeurs ont découvert des problèmes tapis dans l’ombre et une réalité bien plus morose.

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