Sara Costa[ESP]
- Photographie & Cinéma
Chronique
Sara Costa : le portrait photo dans l’intimité du confinement
Pour la dernière étape de notre thématique sur le Portrait de la Femme, on part cette fois du côté du portrait photo en s’envolant pour l’Espagne. Les femmes de la vie de Sara Costa, comme la nature, peuplent ses portraits intimistes et nostalgiques. Le temps passe, le portrait reste.
Portrait confiné
Comme vous l’avez compris au fil de cette série sur le portrait de la femme et son voyage à travers le temps et les générations, plus que n’importe quel genre artistique, le portrait est le témoin d’un moment, d’une époque donnée. Et ces derniers temps, nous vivons une drôle de période, à la fois marquante, inédite, angoissante. Enfermés chez eux, les artistes doivent trouver de nouvelles sources d’inspiration, des moyens pour continuer à créer. Ils reviennent à l’essentiel et forcément, à un portrait encore plus naturel. Sara, comme d’autres, comme nous, en profite pour photographier son entourage essentiellement féminin ; sa sœur, sa mère et sa grand-mère. Et souligne la beauté naturelle des femmes qui accompagnent sa vie. Ses portraits se font l’illustration du confinement, de cette intimité entre quatre murs, de ce bonheur de ne pas être seul en ce moment, de cette époque où l’on apprend à composer avec son entourage. La créativité renouvelée. À la manière du photographe Valentin Curtet qui propose sur Instagram sa série Fenêtre sur Confinement, dans laquelle il immortalise chaque jour sa voisine d’en face dans des mises en scènes pleines d’humour. Ou de la peintre Emily Ponsonby, qui à défaut de pouvoir faire venir de nouveaux modèles dans son studio, fait poser ses frères et sœurs dans sa maison d’enfance où elle est confinée. Ainsi, les objets de Sara, pour un temps, deviennent sa famille.
L’artiste compose avec ce qu’elle a sous la main, un portrait bien dans la veine actuelle. Ce ne sont pas des portraits prémédités, pour lesquels on organise un shooting millimétré, où l’on photographie pendant des heures, jusqu’à avoir en boîte le cliché parfait… Ce ne sont pas des shootings où le mannequin sait précisément comment se placer, se comporter, poser, se balançant d’une moue à l’autre, face à une caméra qui ne l’effraie jamais. Sara prend des portraits pris sur le vif, spontanés, tronqués parfois. Des photos capturées dans l’intimité, avec des modèles encore plus authentiques. Des portraits qui prennent, comme Sara nous l’écrit, « plus de sens », justement par ce lien affectif au modèle dont parle la peintre Léa Augereau, interviewée dans la continuité de notre série sur le portrait de la femme. C’est précisément ce dont on a envie aujourd’hui, le retour du lien humain, social, affectif.
MACHINES à REMONTER LE TEMPS
Le portrait sait aussi garder la trace de la jeunesse, de la beauté des personnes représentées. C’est une image de nous à une date précise. On immortalise nos enfants à chaque âge pour se souvenir de leur évolution, de se temps qui passe et laisse place au changement. C’est comme ça que Sara photographie sa grand-mère, Carmen. Une vieille dame qui se trouve dans un « moment particulièrement vulnérable de sa vie », rattrapée par la maladie d’Alzheimer. Mais qui continue à vivre et à se débrouiller. Carmen perd petit à petit ses souvenirs, Sara, grâce à son appareil, en conserve pour toujours la trace. Et la pellicule joue le rôle de la mémoire que l’humain peut perdre parfois.
Ses proches, elle les photographie à la fois pour elle et pour eux. Sa famille – comme tant en Espagne -, a souffert de la guerre civile. Ses grands-parents étaient relativement pauvres et n’avaient que très peu de portraits d’eux. Quelques-uns seulement de sa mère enfant. « On a perdu beaucoup de notre histoire familiale », explique Sara. Pour ne pas reproduire la même erreur et parce qu’aujourd’hui la photo est bien plus accessible, la jeune femme capture chaque instant, pour les générations futures, pour les prochains membres de sa propre tribu. Elle construit des portraits comme des « machines à remonter le temps ». Et raconte comment elle revient au moment exact où elle a prise prise une photo dès qu’elle la regarde, se remémorant l’état dans lequel elle se trouvait, revivant l’émotion spontanée de l’instant. Plus encore qu’un portrait vrai et naturel, Sara défend donc un portrait mémoire avec son « voile de souvenir », entre nostalgie, histoire familiale et beauté passée.
UN CADRE AU NATUREL
En temps normal, quand on n’est pas confiné, Sara aime aussi photographier ses modèles en pleine nature, au cours d’une balade. Ce qui nous fait penser à la démarche de Simon Kerola et ses portraits mystérieux dans les paysages déserts de Suède. Après tout, quel cadre est plus naturel que la nature elle-même ? C’est l’environnement idéal pour ce portrait d’aujourd’hui, plus sincère. L’eau et les fleurs, surtout, éternelles témoins du temps qui passe, sont des personnages à part entière des portraits de femme de Sara. Le motif floral se retrouve dans chaque portrait, comme un fil conducteur. C’est un autre élément clef et révélateur de notre époque ; en 2020, c’est le retour à la Terre. On protège la planète à tout prix et cette nature fragile est au cœur de nos préoccupations et des œuvres des artistes contemporains. Le portrait de la femme s’éloigne du studio photo pour aller prendre place dans les paysages superbes qu’offre Dame Nature. En plus de la femme, le portrait d’aujourd’hui célèbre la nature, là d’où elle vient. Comme la Vénus de Botticelli née dans les flots marins. Synonyme de renaissance.