Alexandre Faraci[FRA]
- Photographie & Cinéma
Interview
Après avoir étudié à Paris, Alexandre Faraci est devenu l’assistant du photographe britannique Oliver Eglin. Par la suite, il s’est lancé seule dans la photographie documentaire.
TAFMAG : Comment as-tu découvert le médium de la photographie ?
Alexandre Faraci : Je dois cette passion à Martin Parr et plus particulièrement à sa série Point of Sale qui a été pour moi le déclic ! Ce qui m’a principalement plu dans son travail, c’est la manière dont il amène le sarcasme à travers ses clichés. Il réussit à coupler esthétisme et reportage sociologique.
Viennent ensuite d’autres photographes comme Amy Stein, Bruno Dayan, Ren Hang Hideaki Hamada. Toutes mes influences et la connaissance de leurs travaux m’aident toujours à trouver le bon angle d’attaque pour mes propres photos et la bonne cohésion de mes sujets.
TAFMAG : En quoi Martin Parr inspire ta façon de photographier tes sujets ? À regarder ‘Amour d’enfants’, on pense plus aux américains Larry Clark et Bruce Davidson, qui photographient la jeunesse avec une mélancolie assez sombre.
A.F : Justement, je pense qu’il existe une certaine corrélation entre Martin Parr, Larry Clark, Bruce Davidson et même Nan Goldin. D’une certaine façon, les clichés de Martin Parr peuvent être sombres, tout dépend de l’interprétation : ils reflètent un pays, une population, une jeunesse embrigadée par l’économie et le produit de consommation. Au final, les travaux de Larry Clark et Bruce Davidson ne sont pas si éloignés de ceux de Parr, si ?
TAFMAG : Qu’as-tu souhaité évoquer avec cette série, tout particulièrement ?
A.F : Amour d’enfants est un projet que je souhaitais développer depuis longtemps. Seule la ligne directrice manquait à l’appel. Le problème était de ne pas tomber dans le monotone tout en restant percutant.
Après plusieurs recherches sur ce sujet, je suis tombé sur une étude philosophique menée par Jean Piaget qui explique qu’entre l’adolescence et l’âge adulte, l’intelligence humaine développe des unités élémentaires de l’activité intellectuelle que l’on appelle plus communément « Schème ». Ceux-ci se manifestent lorsque l’adolescent rêve de comprendre le monde dans sa totalité, quand il cherche à le découvrir par lui même, sans autorité parentale. Cela peut aller du simple fait de fumer en cachette jusqu’à la découverte du nu : l’interdit est presque le leitmotiv de cette transition.
À chacun d’y découvrir ses propres Schèmes.
TAFMAG : Le thème du passage de l’adolescence à l’âge adulte est un thème récurent dans tous les domaines artistiques, depuis toujours. Comment l’as-tu abordé pour ta série ?
A.F : Cette thématique est effectivement récurrente dans la photographie mais elle est surtout intemporelle. C’est ça qui est intéressant : voir son évolution à travers les années et via les travaux de chacun. Ma vision du sujet est uniquement documentaire ; je renseigne un moment précis de notre époque. J’ai d’ailleurs été beaucoup influencé par la série de Nan Goldin, The Ballad of Sexual Dependency ainsi que de l’oeuvre de Russel Bank, Sous le règne de Bone pour finaliser ce projet.
TAFMAG : Comment as tu présenté ces derniers amours d’enfants avant qu’ils n’atteignent leur pleine maturité (si tant est que la transition est aussi soudaine ?)
A.F : Dans cette série, je reste toujours à distance, je ne souhaite pas établir d’intimité entre le sujet et la caméra, je souhaite justement que la caméra soit oubliée et que ces personnes qui ne sont rien d’autre que mes amis puissent livrer de vrais moments de partage. Je ne donne également aucune réponse à l’éternelle question de la rébellion adolescente ; je la documente et je laisse la libre interprétation à l’adolescent qui ressurgirait chez le lecteur.
TAFMAG : Tu as réalisé plusieurs types de séries, certaines plus ‘arty’/graphiques (E/W), d’autres au format de reportages comme pour Usa. Amours d’enfants est une série plus poétique… Jongler entre plusieurs formats, est-ce un choix ou le résultat d’une identité pas encore tout à fait définie ?
A.F : Il est vrai que lorsqu’on regarde mon travail, on pourrait penser que je ne suis pas encore sûr du chemin que je souhaite emprunter ! Cela peut passer pour de la faiblesse mais comme disait Susan Sontag : « Photographier c’est s’approprier le monde » (à mon humble niveau, cela va sans dire). Et ça passe par tous styles photographiques que ce soit du reportage, de l’art, de la mode ou de l’architecture. Pourquoi se contenter d’un secteur quand on peut aller plus loin ?
Le reportage sociologique est ma principale prédilection mais celle-ci peut être exploitée de différentes manières et c’est ce que j’essaie de transmettre à travers cette « inégalité » de formats.
TAFMAG : Aujourd’hui, comment résumerais-tu l’essence de ta photographie ? Sa couleur ?
A.F : La photographie est à mes yeux un véritable lien avec la réalité ; une manière de vivre les choses. Je travaille dans ce sens et mes photographies sont le reflet de cette intention. Lorsque l’œil se pose sur une image fixe, celui-ci doit y voir une scène, un avant et un après et ne pas seulement penser à l’instant où le moment a été capturé. Ma démarche est de me distancer, d’apposer une certaine neutralité. Ainsi, je laisse la place libre à l’image pour s’exprimer, seule.