Charlotte Abramow[BEL]
- Photographie & Cinéma
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01.01.2015
Françoise et Françoise [1/1]
Interview
Charlotte Abramow, schizophrénie artistique
Charlotte Abramow est un objet visuel belge non-identifié. Elle a provoqué le buzz en 2010 lors de sa présentation au Festival des Rencontres d’Arles. Son jeune âge — 16 ans à l’époque —, son franc parler, la puissance visuelle de ses images et sa passion pour la photo font sensation. Les articles fleurissent dans la presse et sur Internet. Depuis ? Silence radio. Six années plus tard, je la contacte. Une bière, un Coca, on se lance. La conversation durera deux heures ; le début est calibré, la fin beaucoup moins. Militante engagée et féministe fashion ; mise au point sur Charlotte Abramow, la femme derrière la photographe.
Claudette et Thugs Grandmas
Pour résumer, elle démarre autodidacte : peu de technique mais beaucoup d’idées. À Bruxelles, on la connaît comme l’ado qui photographie d’autres ados. Une notoriété qui flatte. Son style est romantique, peu travaillé ; des shootings en extérieur, à la volée, bruts. Puis, à l’aube de ses 20 ans, elle débarque à Paris, entre aux Gobelins et se forme. Une période intense : « Je découvre le studio, j’essaye plein de techniques, l’émulation avec les autres est permanente. » Mais aussi déconcertante pour l’artiste : « Je me perds un peu, j’ai du mal à trouver de la cohérence, mais c’est ce qu’il me fallait. J’en avais marre de shooter mes copines dans la rue. »
C’est avec Claudette que le déclic se produit. Une série créée pour l’école en workshop dans un hôtel particulier. « C’est là que je me suis rendue compte que j’avais quelque chose de nouveau à proposer », explique-t-elle. Jouer avec la lumière, la composition de l’image, les fonds de couleur en studio. Ces nouvelles contraintes stimulent son imagination et donnent naissance à des séries comme Une Petite Poésie, Play ou encore Le Grand Odalisque.
« Mon corps est improbable »
Cette dernière série, inspirée par un bref — et inachevé — passage à la FAC, en histoire de l’art, est représentative de l’obsession du corps, du genre et de l’apparence qui anime la majorité d’entre nous. Cette addiction développe des complexes que la photographe comprend et tend à dénoncer. L’humour est souvent sa meilleure arme pour prendre du recul avec cette pression sociale de la perfection : « Mon corps est improbable, il me fait rire, j’aimerais que mes copines fassent pareil ! »
Le vieillissement, l’enfance, l’adolescence, le couple, tous ces thèmes se retrouvent à travers ses portraits/séries. « Je ne suis pas vraiment attachée à un mouvement ou à une culture », déclare-t-elle, « ce qui m’inspire ce sont des sentiments, des concepts ». Mais c’est sans doute le rapport au corps chez la femme qui l’absorbe le plus. Entre désir et haine, elle cherche souvent à démystifier le corps féminin. La série Bleue illustre bien cette démarche : le modèle est bleue, chauve mais dotée de poils pubiens, brouillant toutes pistes au sujet de son humanité.
Schizophrénie photographique
Cette série, comme la majorité des clichés de Charlotte, attire irrésistiblement. Pour leur beauté esthétique, mais aussi pour la sensation d’irrationalité qu’ils dégagent. Il y a certes là un message, mais déconcertant, comme sorti de l’imagination d’un fou. Et c’est là toute la force artistique d’Abramow : prendre un cliché — l’emploi d’une idée « stéréotypée », usée et banale — et le tourner en dérision, en beauté absurde.
Charlotte n’est toutefois pas encore prête à traiter de sujet sévères et vraiment complexes. « Mon travail tente de provoquer l’évasion mais je ne veux pas faire l’autruche non plus. À terme, j’aimerais que mon travail soit plus social. » À côté de ça, elle aimerait aussi collaborer avec des magazines de mode, une part importante de son travail. « Mais je ne veux pas être QUE photographe de mode, c’est un milieu compliqué ». Elle soupire : « Parfois, j’ai l’impression d’être schizophrène, j’te jure ! » Ah ?