Nickolas Lorieux

  • Photographie & Cinéma

Interview

Le 15.06.2022 par Julie Le Minor

Plongeon sensuel avec le photographe Nickolas Lorieux

Une eau limpide, le soleil au zénith et des silhouettes féminines flamboyantes, le photographe Nickolas Lorieux nous entraîne dans un univers coloré où l’été résiste aux saisons et où les sens semblent constamment en éveil.

Photographie sous l'eau d'une femme en maillot de bain rose

Le rendez-vous est donné à l’hôtel Amour un jeudi en début de soirée. Alors que la terrasse de ce lieu emblématique se remplit peu à peu d’habitués et de touristes, Nickolas arrive tout de beige vêtu, sourire aux lèvres, armé de sa bonne humeur et de son entrain habituel. Alors qu’en ce mois brûlant, Tafmag s’intéresse à l’éternel thème de la piscine, il convenait de débuter ce nouveau chapitre avec le photographe parisien dont le prisme solaire et aquatique semble nous narrer l’histoire d’un « Endless Summer ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Nickolas commande ce soir-là un simple verre d’eau « à température ».

Hello Nickolas, merci de te prêter à ce plongeon intimiste dans ton parcours et ton travail. Tout d’abord que t’évoque notre thème ce mois-ci : la piscine ?

Cela m’évoque l’été, bien sûr. Le film La Piscine avec Delon et Schneider mais aussi d’autres œuvres comme la peinture de Hockney ou le film A Bigger Splash de Luca Guadagnino. J’ai d’ailleurs mis du temps à comprendre que c’était un remake de La Piscine, mais je me disais bien que j’avais déjà vu ce film quelque part !

Attends, mais oui tu as raison ! Je n’avais pas réalisé jusque-là qu’il s’agissait d’une nouvelle adaptation avec Tilda Swinton et Ralph Fiennes.

Mais oui ! Suite à ce film, tout le monde allait sur l’île de Pantelleria en Sicile où se déroule l’intrigue. C’est un endroit incroyable. Mais pour revenir à la piscine, je ne suis pas sûr d’en avoir shooté tant que ça…

Mais si, Sergio Rossi, Carven, Isabel Marant… Beaucoup de campagnes que tu as réalisé ont pour décor une piscine. Je crois d’ailleurs que ton premier édito mode était un remake de l’œuvre mondialement connu de Hockney, « A Bigger Splash ».

Oui, c’est vrai ! C’était une série homme pour le magazine Wallpaper et j’avais rencontré la rédactrice en chef à l’époque via une de mes amies, Audrey, qui était agent pour Total Management. Je lui avais montré mes photos de vacances et suite à cela, elle m’avait dit : « Ok, tu pars à Los Angeles, à Palm Springs shooter ton premier édito pour Wallpaper ». J’étais vraiment très heureux, comme tu peux l’imaginer.

Comment s’est passé ce premier shooting avec un magazine aussi prestigieux que Wallpaper ?

Dans ce shoot, je reprends le thème de David Hockney et son fameux « splash » dans une piscine. Je me suis retrouvé avec Audrey à l’autre bout du monde, c’était incroyable mais j’avais un peu les pétoches, en vrai. C’était mon tout premier édito. Au début, j’avais pris une longue liste de matériel, notamment des flashs. Avant de partir, j’ai rencontré un photographe, Max Farago, qui m’a dit : « T’inquiètes, t’emmerdes pas avec les flashs, il fait toujours beau à Palm Springs ! » Du coup, je ne prépare aucun flash et finalement, la veille, sous le coup de la panique, je décide d’en emporter tout de même deux avec moi. Heureusement, car quand j’ai atterri à Los Angeles, le ciel était noir et il s’est mis à pleuvoir. J’ai dû faire trois photos le premier jour, puis le second, on a eu du soleil et j’ai pu reconstituer A Bigger Splash en ajoutant même mon amie Audrey dans la composition. On la voit bronzer au bord de la piscine.

Photographie en couleur d'un homme nageant dans une piscine vers un homme habillé au bord de la piscine avec une femme couchée en arriere plan

C’est intéressant de se replonger dans ce premier travail, on retrouve déjà un peu ton identité…

Aujourd’hui, je pense que j’ai développé une identité qui me ressemble davantage avec différents thèmes que j’ai puisé à droite, à gauche : des ciels polarisés, de grands angles, des jeux de plans… Ce qui fait que je suis davantage « moi ». Mais quand on voit cette première prise de vue, je crois que l’on peut déjà déceler mon style, c’est intéressant.

Ton père Jean-Daniel Lorieux est un grand photographe français de mode qui a collaboré avec les plus grandes publications internationales comme Vogue, L’Officiel ou Harper’s Bazaar et réalisé des campagnes publicitaires pour Paco Rabanne, Dior, Céline ou encore Lanvin. T’a-t-il poussé à devenir photographe ?

Non, pas du tout, en réalité c’est arrivé un peu par hasard. Scolairement, je n’étais pas doué, ce n’était vraiment pas mon truc. En grandissant, je me suis naturellement intéressé à l’art, au dessin et à la peinture. Après mon bac, j’ai fait une école de stylisme et de modélisme et je me suis rendu compte que j’adorais la mode mais que j’ai toujours été plus attiré par la mode masculine que par les patrons de robes ou de jupes qu’on apprenait en cours. En fait, depuis tout petit, j’étais fan de Michael Jordan et passionné de design de chaussures et de baskets. J’ai retrouvé des dessins de moi à 7 ans, j’avais même inventé une marque de chaussures “Air Bubble” en copiant le logo Nike. Ma mère m’a dit que mes premières pellicules étaient d’ailleurs toutes remplies de photos de chaussures. J’en photographiais dès que je pouvais. En même temps, c’est peut-être naturel car finalement, quand tu es enfant, tu shootes à hauteur de pieds (rires).

Tu avais donc déjà un certain regard et intérêt pour la mode, les chaussures donc, et le skate aussi. Mais alors à quel moment as-tu décidé de devenir photographe ?

Je n’avais jamais pensé suivre une carrière artistique. Pour moi, être artiste, c’était une vocation. Je trouve qu’un artiste lui-même ne peut pas se dire artiste, ce sont les autres qui peuvent le dire. Le statut d’artiste reste encore aujourd’hui sacré selon moi. Pourtant, un jour, à Mod’art, mes dessins ont retenu l’attention d’un professeur. À cette époque, je dessinais d’une façon particulière, assez libérée. Un prof m’a dit de poursuivre ces dessins, qu’ils étaient vraiment intéressants. Je pensais qu’il se moquait de moi car mes personnages étaient assez difformes, très étranges. Je dessinais comme un enfant, c’est encore le cas, mais à partir de ce moment-là, j’ai pris du plaisir à dessiner. Cela m’a donné un certain style, une direction. Ce prof m’a conseillé de suivre une voie artistique et finalement, je suis entré aux Ateliers de Sèvre un peu par hasard.

Photographie de deux femmes allongées sur des transats en tenue colorée au bord de l'eau

Aujourd’hui, tu shootes pour les plus grandes marques de mode : Saint Laurent, Isabel Marant, Carven, By Far… Quelles collaborations as-tu retenu notamment ?

J’ai adoré travailler pour By Far ! J’étais très libre dans mes propositions et j’ai pu m’inspirer de photographes anciens, notamment Iro que j’adore. C’est aussi grâce à mon père que j’ai eu cette culture d’images. C’était l’époque où les photographes expérimentaient beaucoup. Chacun avait sa propre patte. Sarah Moon utilisait une pellicule très graineuse, David Hamilton mettait un peu de vaseline sur ses optiques pour flouter l’image, mon père Jean-Daniel Lorieux prenait une diapo très basse en ISO et un polarisant pour rendre ses ciels très foncés. À mon tour, j’ai expérimenté pour trouver mon propre style. Ces derniers temps, j’ai aussi eu la chance de shooter la chanteuse Angèle pour la cover de son dernier album ainsi que la chanteuse Poupie et cela m’a beaucoup plu !

Au fil de ton parcours, tu sembles avoir vraiment pris le temps d’apprendre l’histoire et la technique de la photographie.

Oui, au début, j’étais fasciné par la technique mais du coup cela ne laissait aucune place à la surprise ou à l’accident. Peu à peu, grâce à mon expérience, je me suis libéré de ces injonctions techniques. Avec un Point & Shoot, on est finalement très libre. Encore aujourd’hui je m’intéresse et touche à tout ! Tout me fascine : la photographie bien-sûr mais aussi l’art conceptuel, la sérigraphie, la vidéo…

Tu t’es aussi fait connaître sur la scène mode parisienne en réalisant les “Daily Obsessions” de Self Service Magazine.

Oui, j’ai commencé à faire les “Daily Obsessions” de Self Service et j’ai commencé à shooter des produits de mode. Au départ, j’étais très consciencieux et on m’a dit : “Tu ne veux pas faire un peu de Point & Shoot ? Quelque chose de plus spontané ?” Alors, j’ai pris mon Lumix et je me suis mis à shooter les produits dans les showrooms avec un flash assez agressif en essayant “de les shooter le plus mal possible”. Figures toi que c ‘est justement ça qui plaisait ! Cette patte un peu irrévérencieuse et bancale est devenue notre marque de fabrique. Cela m’a appris que si tu ratais de façon maîtrisée une photo, ça la rendait d’autant plus intéressante. Mais pour ça, il fallait déjà avoir acquis une véritable technique. C’est ce que j’appelle des “accidents maîtrisés ».

Nous sommes le 9 juin, l’été pointe enfin le bout de son nez. À quoi ressemble un été idéal selon toi ?

Formentera est sans doute ma destination rêvée malgré que l’île soit de plus en plus connue et habitée. Je suis tombé amoureux de cette île et de son art de vivre. Tu es libre sur une île pleine d’odeurs où tu peux changer de décor instantanément. En tant que photographe, cela me touche particulièrement.

Y-a-t-il une piscine ?

Il y a toujours la mer en tout cas…

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