Grand Blanc
- Musique
Interview
« Vers l’infini et au-delà* » (*Buzz l’Eclair)
On a rencontré Grand Blanc dans les locaux parisiens du label francophile qui monte, Entreprise (Moodoïd, Bagarre…) pour la sortie de leur premier album, Mémoires Vives. On a parlé des rades de Metz, leur ville d’origine, de John Carpenter et des Power-Rangers.
Des Powers Rangers à Baudelaire. Ou l’inverse.
Et puis, on a cité Baudelaire : « La modernité, c’est le fugitif, le transitoire, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. » « Ça correspond à votre musique ? » leur demande-t-on. « Dans le mille ! » s’exclament-ils.
Ils expliquent : « Notre modernité est extrêmement morcelée, avec très peu de hiérarchie dans l’information et dans l’expérience. Notre musique ressemble aux deux heures qu’on passe par jour sur les réseaux sociaux, parce que c’est devenu un lieu plus réel que beaucoup d’autres lieux. »
Le ton est donné. Si leur musique était une figure de style, ce serait l’oxymore : la voix chaude, rocailleuse et syncopée de Ben martèle les mots jusqu’à l’ivresse mécanique, tandis que les mélopées évanescentes, aquatiques, limite-angéliques de Camille les distendent, comme dans Tendresse où le couplet, dans sa bouche, en devient deux.
Les mots à la bouche
Les mots-éclats éclosent en explosant : on déconstruit le sens jusqu’à son annihilation : « Tu dis qu’tu penses/ Tu dis qu’tu penses/ Tu dis qu’tu penses » répété ad lib dans Evidence. Mais ne vous y trompez pas, leurs voix entremêlées entonnant les mêmes refrains dans Les abonnés absents nous rappellent que féminin et masculin, comme terre et eau, ne sont pas forces antagonistes mais bien complémentaires. Une évidence.
Ben, l’auteur du groupe, explique que « La poésie, c’est le truc le moins intellectuel du monde », l’air de déplorer qu’elle ne soit pas plus lue. Mais le bon côté, selon lui, c’est qu’il « peut pomper du René Char », l’une de ses inspirations principales, « sans que personne ne le remarque ! »
Ses métaphores poétiques permettent à Camille, Vincent et Luc de se les approprier, avant tout comme matière sonore. Dans Verticool notamment, les mots pur-sang ne sont plus sens mais pur son. Génération Ableton oblige, chacun est invité à y apporter son propre pouvoir, sa propre couleur. Tels les Powers Rangers, dont ils se réclament, ils ne sont jamais aussi puissants que quand ils forment l’unique Ranger.
Un groupe Dada…
Leur but : créer l’étonnement, en juxtaposant deux choses sans rapport évident : c’est un mot placé là dans la phrase, qu’on n’entend d’une toute nouvelle manière, des paroles faussement enjôleuses avec un gros riff de guitare, ou cette bagnole accidentée sur la pochette de l’album shootée sous des lumières pop, dont ils choisissent de ne montrer que le phare.
Ils ont fait de l’adage de Saint John Perse le leur: « Le poète est celui qui rompt pour nous l’accoutumance ». Inviteurs de contresens, inventeurs de mots-croisés, en chantant les maux qu’ils pensent, ils pansent les mots qu’ils chantent. Alchimistes ? Marabouts ? Magiciens ? Cette cicatrice en forme d’éclair au-dessus de la lèvre de Ben laisse planer un doute. C’est « Le Harry Potter de la parole ! » blaguent-ils.
Si le surréalisme d’André Breton les inspire, c’est plus pour son amour des beautés étranges et inattendues : « La beauté sera convulsive, ou ne sera pas » peut-on lire dans Nadja, que pour le titre de son récit L’Amour fou, qu’ils avouent avoir donné « par hasard et avant d’avoir lu le livre » au premier single de l’album.
…du Romantisme
Le groupe s’agace d’une vision trop univoque de leur univers : sombre, noir et poisseux, certes, dans les thèmes qu’ils abordent, mais avec une « énergie très positive », dans la manière de les transmettre. Les titres de leurs chansons sont à cet égard évocateurs : Tendresse, Amour fou, (Désert) Désir.
Ainsi, si « Les rêves dévorants peuvent aller niquer leur mère », comme ils le chantent dans Summer Summer, c’est parce qu’ils sont dévorants, pas parce qu’ils sont rêves… D’ailleurs, même s’ils estiment que « les temps sont durs », dans Tendresse, ils considèrent que la beauté est à réinventer.
Grand Blanc aime les dissonances. A l’instar du Flamenco, le vieux rade-repaire décati des origines messines, où ils découvrent quelques unes de leurs influences musicales principales. C’est dans ce bar, à la fois branlant et solide, cabossé mais sublime, qu’ils écoutent pour la première fois Gun Club, Television et quelques autres « Disque(s) sombre(s) » sur le juke-box planté là, comme une anomalie. « Il y a quelque chose d’à la fois beau et touchant dans ce contraste », expliquent-ils.
« Surprise party, c’est le morceau idéal pour exploiter cette forme de beauté inattendue : lent, grave et sombre mais avec des guitares « débiles », très pop ». Cette beauté qui n’est ni lisse ni parfaite, mais discordance et discontinuité donne justement, selon eux, « plus de raisons d’espérer ».
Superhéros des temps modernes
Intellos-pop modernes, ils citent Facebook et Char dans la même phrase, ou John Carpenter (New-York 1997), qu’ils apprécient pour sa capacité à « parler de choses profondes avec des effets spéciaux laissant à désirer ».
Les Power Rangers de la cold wave : feu du stylo vs ice wave. Disque dur 80’s. Rave-party pop. Déflagrations barbes-à-papesques.
On est transportés dans cette grande salle vide où cotillons et serpentins jonchent le sol mais où la musique continue, à pleins tubes. Seule, une hydre venue de Vénus danse « sur le dancefloor de ta rétine », comme ils le psalmodient dans Les abonnés absents, car seul l’amour (fou ?) possède cette capacité à agréger des éléments a priori contraires.
Et, comme dans Bosphore, quand « le jour se lève » on se demande, la mémoire ivre -trou noir, grand blanc – si, cette musique venue d’une autre planète, on ne l’a pas rêvée.
Paloma Colombe
Perdue mais maintenant retrouvée, l’interview de Grand Blanc par Paloma Colombe révèle à nouveau ses super pouvoirs.
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