Aloïse Sauvage[FRA]

  • Musique

Aloïse Sauvage n’a que 25 ans mais elle a déjà expérimenté plus de formes artistiques que certaines personnes dans toute leur vie. Le cirque, la danse, la musique, le cinéma, rien n’échappe à son envie dévorante de vivre, de jouer et surtout, de tout essayer. Et en plus, elle semble douée dans tout ce qu’elle entreprend. Elle élabore de vrais shows sur scène, danse dans ses clips, slame avec aisance, maîtrise les mots avec style, a su se faire remarquer avec de beaux rôles comme dans le film « 120 battements par minute » et  surtout a déjà ancré dans la tête de tous son célèbre « Aphone à force d’être à fond ». De retour du festival Pete the Monkey, où on l'a vue en live, on vous laisse découvrir l'effet Sauvage.

Interview

Le 20.07.2018 par Juliette Mantelet

PORTE-PAROLE DU « TOUT EST POSSIBLE »

Aloïse a grandi en banlieue parisienne, un milieu pas forcément facile, mais où elle a pu faire aussi bien du théâtre que du hip-hop ou de la batterie grâce aux nombreux clubs de sa ville. Elle a un parcours caractéristique de sa génération. Elle s’est débrouillée seule, sans piston, en bidouillant dans sa chambre et en écrivant des petits textes pour son plaisir depuis toute petite et depuis les fêtes du lycée où, sur des musiques instrumentales, elle prenait le micro pour « balancer » un monologue en rimes.

Après plusieurs années à évoluer dans le cirque et le monde du spectacle vivant, elle se consacre aujourd’hui pleinement à la musique et au cinéma, jonglant entre les arts avec une facilité déconcertante. Elle fait tout « à fond », à défaut de pouvoir choisir une seule passion. Elle a déjà plusieurs titres qui cartonnent sur le net, une tournée de festivals bien chargée et de nombreux tournages dans la boîte, comme celui du film « Les Fauves« , un thriller psychologique avec Lily-Rose Depp, Camille Cottin et Laurent Lafitte qui sortira prochainement.

Quand on rencontre Aloïse, on remarque tout de suite qu’elle porte sa veste blanche à rayures vertes fétiche qu’elle arbore à chaque concert. Elle est dynamique, drôle, pétillante. Elle sait parler et a surtout des choses à dire. Son naturel et son aisance sont impressionnants, c’est le genre de rencontre qu’on n’oublie pas. La chanteuse, actrice et circassienne, a un message très simple (et pertinent) à faire passer à sa génération : « Tout est possible » !

La banlieue, c’est une espèce de terreaux artistique et sportif.

DANS TA FAMILLE, ILS SONT ARTISTES ?

A : Non, je n’ai aucun artiste dans ma famille. En tout cas aucun artiste qui en vit. Mes parents sont dans l’éducation nationale. Je n’ai jamais été forcée par ma famille, mais plutôt encouragée. Quand je fais quelque chose, je le fais à fond, je suis une grande bosseuse. Mais c’est aussi grâce à mon environnement que j’en suis arrivée là et je remercie la banlieue pour ça, ça aurait pu être très différent. Dans ce genre d’endroit, peut-être moins accueillant de prime à bord, on développe des infrastructures pour les jeunes qui sont primordiales et nécessaires, et j’ai eu la chance d’y avoir accès. La banlieue, c’est une espèce de terreaux artistique et sportif.  J’ai passé dix-sept années merveilleuses là-bas.

TU AS DES MENTORS ARTISTIQUES ?

A : Je n’ai pas l’impression d’avoir des idoles ou des gens qui m’ont accrochée petite et à qui j’ai toujours voulu ressembler. Après, il y a des gens qui m’inspirent et qui m’ont donné envie de toucher à ces différents domaines. Je peux citer James Thierrée, Camille Boitel, Pina Bausch, Joël Pommerat en théâtre ou Vincent Macaigne, Anna De Keersmaeker pour la danse, le clown russe Slava. Et en fait la musique, je découvre seulement maintenant. Je peux citer quand même Stromae pour son côté artiste complet et puis les rappeurs américains comme Jadden Smith et tous les personnages atypiques comme Lady Gaga.

 

POURQUOI T’ES-TU TOURNÉE VERS LE RAP, LE SLAM ?

A : Je ne l’ai pas choisi, ça sort comme ça. Je pense que comme je viens de ce milieu hip-hop, le rythme, la scansion, ça me parle. J’ai écouté énormément de rap français, j’ai saigné Diam’s, Disiz la Peste… Je ne me suis jamais imaginé pouvoir chanter ou faire des chansons, donc ça m’a aidée de passer par le rap et le slam. Et puis c’est aussi lié à l’écriture, j’écris comme ça, avec beaucoup de mots, d’assonances, j’écris en vers et quelque chose qui est déjà dans la bouche. Pour l’instant, ma musique tourne vers le hip-hop, mais j’ai aussi envie de m’ouvrir encore davantage dans les structures musicales, de créer un hip-hop – pop – électro. Mais ça vient comme ça parce que j’aime cette musique-là en fait.

TU PENSES QUE LE RAP SE DÉMOCRATISE AUJOURD’HUI,
DEVENANT UN PEU DU POP-RAP ?

A : Je dirais que maintenant j’assume totalement de dire que je fais de la chanson. Parce qu’en fait aujourd’hui tous les rappeurs s’ouvrent musicalement, donc ils se permettent dans les structures de s’ouvrir, de chanter. Même si on a tendance à dire le contraire, le rap c’est de la chanson. Même si on scande les mots, même si c’est un peu plus hip-hop et avec des beats, c’est de la chanson. J’ai l’impression que ce qu’on appelle rap c’est juste le fait de donner une importance aux mots et à comment on les exprime et acccorder de la place au flow. Je ne dirais pas que c’est la nouvelle chanson, je dirais que le rap c’est aussi de la chanson française. J’ai juste l’impression que le rap s’est ouvert musicalement et que maintenant on peut rapper sur tout. Quand on me demande mon style musical, je ne sais pas quoi répondre, je dis des trucs comme « hip-hop, pop, chanson française », ça ne veut plus rien dire. J’ai l’impression qu’aujourd’hui on est vraiment dans un brassage culturel, et tant mieux. C’est symptomatique de notre génération.

EN TANT QUE FEMME, ÇA A ÉTÉ PLUS DIFFICILE DE T’IMPOSER DANS CE MILIEU RAP ?

A : Pas du tout ! Mais c’est encore symptomatique de notre époque qui fait les choses dans sa chambre et les partage sur le net. Avec Abraham Diallo on s’est enfermés une semaine dans sa chambre, à Dunkerque, on a écrit cinq sons et puis on les a sortis. What else ? Je n’ai pas été dans un studio où j’ai dû subir des remarques matchos. De toute façon, il faut des femmes fortes et inspirantes dans la musique et il y en a de plus en plus. Et j’aimerais bien, petit à petit et à ma petite échelle, devenir une jeune femme à laquelle on pourra s’identifier. Tout est possible, vraiment !

« J’ai l’impression qu’on est une génération de téméraires et de courageux. »

IL Y A UNE AUTRE PRATIQUE ARTISTIQUE QUE TU AIMERAIS TESTER ? ET UNE DANS LAQUELLE TU N’ES PAS DOUÉE ?

A : J’adore le support de la photo et de la vidéo, ça me touche énormément. Et puis j’aimerais faire toutes les danses du monde, les danses de couple notamment. Le tango, la salsa j’adorerais. J’aimerais aussi être forte dans les arts martiaux. J’aimerais surtout continuer à avoir le temps de progresser déjà dans les trois pôles que je pratique , qui étaient un peu mes domaines rêvés, ceux dans lesquels je voulais avoir un pied, ou au moins quelques orteils. Et maintenant qu’on m’a donné la chance d’y entrer, j’aimerais y plonger tout mon corps.

A : Je ne suis pas douée en dessin. Ma petite sœur Clémence est super douée, elle est mortelle et je vous le dis, elle va aller très loin. Moi j’ai fait du dessin avant elle et j’étais nulle.

LE CINÉMA ÇA T’APPORTE QUOI PAR RAPPORT À LA MUSIQUE ?

A : J’ai l’impression que ce n’est pas la même partie de ma personnalité que je mets en avant dans le cinéma, la danse ou la musique. Le cinéma c’est très différent de la scène. Ça me permet de ne pas me figer dans une image de moi-même, parce qu’au cinéma tu es un personnage. Je n’ai pas peur de mon image, je peux être moche, belle. Ça me permet de me travestir, d’être quelqu’un d’autre et d’essayer d’exacerber une partie de ma personnalité, de me surprendre et de jouer. J’adore jouer, dans les deux sens du terme. Jouer la comédie et être toujours une enfant. Persévérer aussi dans des domaines où j’ai l’impression d’être une débutante pour rester humble. J’ai envie d’essayer, de tenter des choses et le cinéma ça en fait partie parce que c’est tellement jouissif de jouer.

DU COUP ON SE DEMANDE FORCÉMENT,
COMMENT TU FAIS POUR TOUT FAIRE À FOND ?

A : Je dors peu (Rires). Non, sincèrement c’est dur. Depuis que la musique est entrée à vitesse grand V dans ma vie, c’est encore plus dur. Je suis quelqu’un de passionné qui, il faut le dire, consacre la plupart de son temps à ce qu’elle fait et qui, du coup, a peut-être moins de vie personnelle, de loisirs, de temps off que les autres. Mais il faudrait que j’en aie ! J’essaie d’équilibrer au mieux, mais ça n’est pas facile et après ce sont aussi des choix artistiques. Je ne peux pas tout faire comme mes carrières avancent simultanément. Je vais vers ce qui me plaît le plus. J’essaie de rester rare, pour ne pas mourir sur scène d’épuisement, donc il faut aussi savoir refuser (Rires). Je fais moins, mais mieux, car de toute façon je ne veux pas choisir.

 

« C’est tellement jouissif de jouer. »

TU JOUES DANS DES PROJETS ENGAGÉS COMME « TREPALIUM » OU « 120 BATTEMENTS PAR MINUTE », DANS TES CHANSONS AUSSI TU VEUX FAIRE PASSER UN MESSAGE ?

A : J’ai l’impression, à moins vraiment de faire de la pop acidulée avec trois mots par phrase, que si tu écris tes propres textes et que tu les mets en musique tu t’engages forcément dans ce que tu dis. Je ne dirais pas que c’est du militantisme, j’ai ma petite vie et j’essaye juste de raconter ce qui s’y passe. Je suis quelqu’un d’engagé dans ce que je fais. Et j’espère que mes textes qui racontent des histoires parlent aux gens et reflètent un certain engagement. Je pense être engagée dans cette envie de dire : « S’il te plaît, sois libre, fais ce qu’il te plaît et sois ce que tu as envie d’être ». Je veux éveiller les consciences par le « tout est possible ».

 

DANS TES TEXTES TU JOUES BEAUCOUP SUR LES MOTS, LES SONORITÉS. D’OÙ TE VIENT CETTE MAÎTRISE DE LA LANGUE ?

A : J’ai lu beaucoup étant jeune, mon père étant documentaliste. J’ai aussi eu des profs de français remarquables au collège et j’aimais déjà écrire à l’époque. J’adore lire, des romans, des poèmes. En ce moment je lis « Couleurs de l’incendie » de Pierre Lemaitre et un recueil de poèmes, « Les nouveaux anciens » de Kate Tempest. Je lis moins depuis deux ou trois ans mais je vais m’y remettre cet été parce que je n’en peux plus.

C’EST QUOI TA DIFFÉRENCE PAR RAPPORT AUX AUTRES CHANTEUSES DE TA GÉNÉRATION ?

A : Ma spécificité, j’ai l’impression, dans ce que je vois dans les concerts et les festivals, c’est cette importance presque sacrée que j’accorde à la scène. Je n’ai pas commencé par faire de la musique avant de passer à la scène, j’ai fait de la scène et ensuite de la musique. Je connais la scène et je sais quel endroit merveilleux c’est et j’ai envie de la protéger, parce que des fois on la prend trop à la légère. Je me transforme en show girl en musique car la scène c’est une arène.

 

« Je veux éveiller les consciences par le tout est possible. »

TU SOUHAITES ÉLABORER UN JOUR UN PROJET MÊLANT TOUTES TES PASSIONS ?

A : J’aimerais à l’heure actuelle faire de mon concert une belle expérience, plus qu’un simple concert. Qu’esthétiquement et artistiquement il y ait plus de choses qui appartiennent à mon imaginaire sur ce que doit être un spectacle. J’ai hâte !

POUR FINIR, QUELLE EST TA VISION DE LA JEUNESSE AUJOURD’HUI ?

A : J’ai l’impression qu’on est plus libres qu’avant, qu’on prend moins de détours pour exprimer qui on est, nos objectifs de vie, notre orientation sexuelle, notre personnalité. On se laisse plus la possibilité de penser que tout est possible et qu’on a le droit à des choses en s’acharnant, même en ne venant pas des bons milieux ou en n’étant pas favorisé par des contacts. On va plus chercher les pépites dans leur milieu naturel. J’ai l’impression qu’on est une génération de téméraires, de courageux.

 

 

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