Lucien Kimono[FRA]
- Musique
Interview
Dans l’appartement de Lucien Kimono
Après le succès de Lucien & the Kimono Orchestra, l’artiste revient sous un nouveau pseudonyme – au singulier cette fois – et dévoile l’introspectif et pop « 1000 Vies ». Un premier album collégial qui se fait l’écho d’une véritable métamorphose artistique. Rencontre sous le signe de la transformation.
Par une après-midi ensoleillée de Mai, Lucien nous reçoit dans son appartement, dont le charme désuet côtoie désormais la nouvelle hype parisienne. Sixième étage sans ascenseur. Bienvenue dans le Marais. Sourire aux lèvres, Lucien nous ouvre les portes de son appartement lumineux et spacieux, sous les toits de Paris, où il vit et compose dans une salle spécialement aménagée en studio. Musicien, compositeur, interprète, sound-designer et désormais à la tête de son propre label Avancée, Lucien fait partie de cette nouvelle génération d’artistes multi-casquette qui ose « formuler le rêve », comme il le dit d’emblée. Après 3 EP et un album en piano solo sur Cracki Records, il dévoile aujourd’hui « 1000 Vies », son projet le plus personnel et ambitieux à ce jour, pour lequel il s’est entouré d’une véritable clique artistique. « C’est dans cet appart que tout a vraiment commencé », explique-t’il. « Quand on a emménagé ici il y a deux ans avec ma copine, je savais qu’il était tant pour moi de tourner la page de Lucien & the Kimono Orchestra pour m’orienter vers un projet plus intimiste qui me ressemblait davantage. J’ai vécu des choses formidables dans l’appart où j’étais avant, mais c’était vraiment un lieu de remise en question, de gestation et de doutes. Des moments à mater le plafond seul sur le canapé pour savoir comment avancer dans la vie, comment réussir. Ce nouvel appart est symbolique pour moi, je l’ai pris comme un nouveau départ. Mais le chemin a été long », admet-il en riant.
« je savais que j’étais arrivé au bout d’un cycle »
Flashback. À la fin de ses études parisiennes, Lucien se lance dans l’aventure Boiler Room dont il orchestre l’arrivée en France. À l’époque, la scène française est encore peu visible à l’étranger et le jeune musicien y voit une occasion de mettre en lumière les artistes locaux qu’il admire. À la fin de deux années fastes et festives, fort d’un solide réseau, Lucien décide de se concentrer sur l’éclosion de son projet Lucien & the Kimono Orchestra. Un projet solo qui ne dit pas son nom puisque tout au long du processus créatif, Lucien est seul aux manettes : « Lors des lives, j’avais envie d’être entouré de musiciens et je trouvais ça plus cool qu’ils aient un nom ». Ce seront les Kimono Orchestra. « Avant le Covid, on a fait une date à La Maroquinerie avec le groupe qui est resté gravé dans nos mémoires mais, au fond de moi, je savais que j’étais arrivé au bout d’un cycle. Sur scène, j’avais l’impression qu’il me manquait une part importante de l’expression artistique. Je ne pouvais pas exprimer ce que j’avais à dire ».
Aujourd’hui, Lucien se dévoile seul et sans fard dans un album « nocturne, introspectif et profond ». Une nouvelle itération personnelle ou le singulier flirte avec le pluriel, et où l’écriture provoque l’instrumental. D’abord en anglais, « des trucs vaporeux », puis au fil des mois, en français. Une révélation. Lucien se replonge alors dans les classiques littéraires. Mais ce ne sont ni les romans, ni la science-fiction qui le séduisent cette fois, mais bien la poésie. « Chaque jour, je lisais des poèmes et j’écrivais. Je me suis plongé dans Les Contemplations de Hugo, mais aussi Houellebecq. Simple et efficace. J’ai même fait des ateliers d’écriture, dont un, improbable, à la Manufacture Chanson à Père Lachaise. Au départ, j’étais un peu circonspect mais il y a eu un véritable déclic au sein du groupe, le courant est passé. On s’est fait confiance et chacun d’entre nous s’est livré. Lorsque j’ai commencé à lire mes textes et que les autres ont suivi, cela a été comme un premier processus de validation ».
une vie transcendée par la musique
Dans « 1000 Vies », Lucien ne laisse rien au hasard. Au fil des chansons, il dissèque son âme à la recherche du temps perdu et de celui qui se profile. En pleine métamorphose, il inaugure un monde musical et artistique qu’il crée et compose en même temps qu’il écrit. Dans l’ombre de ces nouvelles évidences, Lucien chante le spleen, la vie, l’amour, l’errance. Il s’ennuie, se cherche, s’égare, empruntant des chemins de traverse, écrivant ces mille vies qui auraient pu être les siennes et qui mènent finalement toutes à cette évidence, cet album. Cette vie. L’art, la musique, la scène. À défaut de trouver le « mode d’emploi d’une vie parfaite », Lucien a finalement fini par trouver sa voie. À l’image de l’artiste australien Nick Cave, qu’il cite durant l’interview, pour lui, ce sera une vie transcendée par la musique, un personnage métamorphosé par la scène.
Mais s’il se dévoile dans cet album plus intime que jamais, ce projet n’en est pas moins le plus collaboratif de tous. « Avant je composais tout seul, cette fois, j’ai travaillé la création entourée d’une grosse équipe. J’avais un peu le fantasme de la track de Kanye où sur Spotify, tu vois défiler quinze noms dans les crédits ». Challenge réussi, Lucien part à l’assaut de la jeune garde artistique parisienne et s’entoure des meilleurs. Keight, d’abord, issu de la Red Bull Academy. Un jeune prodige qu’il définit comme « son Lucas V pour Disiz ». Un mec sans compromis qui lui permet de devenir moins consensuel, moins timoré et de faire évoluer sa musique vers quelque chose de plus radical. Au fil de ses nouvelles connexions, Lucien se découvre tel qu’il est : plus pop, plus audacieux, plus profond aussi. Son image inéluctablement change. « Quand on fait un album intimiste, il faut accepter de se dévoiler et de se mettre en avant pour que les gens apprennent à te connaitre. Il faut dépasser sa pudeur. Si tu veux créer un lien émotionnel avec le public, il faut qu’il te voit ».
« c’était génial de voir mes idées boostées par l’esprit et le talent des autres »
L’album écrit et composé, il ne reste plus qu’à le mettre en image. Pour ses trois clips, Lucien s’entoure de réalisateurs aux univers bien distincts : Laurent Benhamou, Simon Depardon et Augustin JSM. « Je voulais moderniser mon imagerie en adoptant des codes plus actuels et en dialoguant avec des photographes qui correspondaient davantage à mes goûts aujourd’hui ». Pour le clip de Weird Fruits et la cover, il fait appel à Augustin, un vidéaste de 23 ans qui vient de l’univers du hip-hop. Tel un astre noir, on y voit Lucien, tout de sombre vétu, une épée lumineuse en plein coeur. Quand on lui demande quelles ont été ses inspirations pour l’album, Lucien répond : « Au bout d’un moment, j’ai perdu la trace de mes influences et j’ai suivi une voie très personnelle. Chaque clip est une émanation directe du paysage mental de chaque chanson transposé à travers le regard singulier du réalisateur. Tout au long de l’album, c’était génial de voir mes idées boostées par l’esprit et le talent des autres ».
Assis dans cet appartement lumineux et arty où des photographies d’étoiles du 7e art côtoient les grands noms de la littérature et où un piano trône au milieu du salon, Lucien confesse : « Je suis très heureux de cet album car je suis arrivé à un niveau de sincérité que je ne pensais pas pouvoir atteindre. J’ai l’impression d’avoir dit tellement de choses. Je me suis finalement prouvé que je pouvais le faire. Quand l’album est sorti, cela a été un réel soulagement. Pourtant, tout le monde m’a demandé si j’allais bien car certaines paroles sont assez sombres », explique-t-il en riant. « Mais je crois que c’est parce que tu fais le choix d’en parler, que ça fait de toi une personne saine. Regarder ses névroses en face et ne pas les éluder, c’est important. Finalement, cet album a été une véritable thérapie », conclut-il dans un sourire.
« On aimerait tous avoir 1000 vies, toutes celles qu’on aura pas vécu, puis un jour arrive où c’est fini, et on a fait ce qu’on a pu ». Finalement, Lucien chante ses démons pour mieux les exorciser, il chante ses regrets pour ne plus en avoir. On se rappelle alors de cette phrase de Nick Cave – « I’m transforming, I’m vibrating* ». On se dit que pour Lucien aussi, ce n’est que le début de la métamorphose.
*« Je me transforme, je vibre »