Léa Augereau[FRA]
- Art & Peinture
Chronique
Léa Augereau, l’artiste et son modèle
Dans le cadre de notre dossier « Génération Icônes » nous avons souhaité vous reparler de Léa Augereau. Pour elle, il s’agit aujourd’hui, d’immortaliser la femme mais aussi la place qu’elle prend dans le monde, dans notre société.
Cet article était initialement publié dans le cadre de notre dossier « Portrait de la femme », le 18 mai 2020 par Juliette Mantelet
Au programme de ce troisième épisode, plongée dans le portrait des femmes de Léa Augereau, artiste féministe et engagée. Léa, qui après avoir participé à notre exposition au salon Première Classe, fin février, a foncé manifester avant la cérémonie des César qui célébrait le réalisateur Roman Polanski. Léa, qui se sert souvent de ses portraits de femme comme affiches de manifestations, preuves de leur capacité à capter nos combats, notre époque. Léa, pour qui féminisme rime avec sororité.
LE POINT DE CONTACT DU FANTASME
« Tout portrait peint avec sincérité est le portrait de l’artiste et non du peintre » peut-on lire dès les premières pages du Portrait de Dorian Gray, le célèbre roman d’Oscar Wilde. Ce constat pose avec justesse la question des rapports entre le peintre et son modèle. Un lien unique et complexe que Léa Augereau évoque elle aussi : « Un portrait, c’est la vision d’une personne sur nous, comment il nous voit ». C’est ce qui explique que l’on puisse adorer ou détester un portrait de nous. Car il y a une autre personne en jeu : l’artiste et son fantasme. Qui exprime son être et ses émotions à travers son modèle. Cette idée, on la retrouve aussi dans le dernier roman de David Foenkinos, Vers la beauté, consacré justement à l’art pictural. « Je ne pense pas que l’on puisse créer sans exprimer ce que l’on est », énonce Camille, une jeune apprentie peintre.
« Le portrait c’est capter et retranscrire une émotion humaine »
Pour Léa, un portrait c’est un jeu entre le peintre et le modèle, tout simplement. Un échange d’émotions variées. L’important étant de trouver « le point de contact ». Pour elle, il y a forcément identification : « Ce qui nous plaît en général et nous connecte aux autres, c’est le miroir de nos propres ressentis ». Les peintres créent un lien avec son sujet, se cherchent à travers lui. Une relation quasi thérapeutique. Comme dans la vie, où l’on part en quête de points communs dans la rencontre amoureuse avec « l’autre ». Il n’y a qu’à voir le nombre de sites et d’appli de rencontre qui existent pour trouver son âme sœur, la plus similaire selon ses croyances, ses opinions politiques, son métier ou même son alimentation. Le peintre, lui aussi, traque cette affinité avec son modèle. Léa le reconnaît, elle peint souvent des femmes aux longs cheveux bruns, aux visages plutôt ovales. Comme elle. Quand elle les imagine, ses femmes deviennent ses « alter égo ». Quoiqu’il arrive, elle ajoute qu’elle a toujours besoin « d’aimer » ses modèles pour les peindre. C’est du reste parce que Basil Hallward est amoureux de Dorian Gray qu’il a peint un « chef-d’œuvre ».
Léa apporte également sa réponse personnelle à cette question que nous nous posions dans notre premier épisode sur le portrait de la femme : est-ce qu’on est toujours les mieux placés pour se représenter soi-même ? À l’heure du « tout selfie », on pourrait penser que l’on capture l’image que l’on a de nous. Mais pour Léa Augereau, ce n’est clairement pas le cas : on est toujours beaucoup trop exigeant envers nous-même. Trop modeste, aussi. Elle relate l’histoire d’un ami poète qui lui a écrit un poème, « très pompeux », qu’elle n’aurait jamais osé écrire sur elle-même. Quoiqu’il arrive, Léa, comme Rebecca Brodskis, qui fait l’objet de notre second épisode sur le portrait non-genré de la femme, défend les émotions dans un portrait. « C’est l’émotion qui s’y trouve qui est la plus importante », explique-t-elle. Les sentiments du peintre et du modèle se mélangent pour une œuvre encore plus frappante. C’est pour les exprimer que Léa s’est spécialisée dans ce genre. Elle est passionnée par les gens, veut regarder en eux. Comme Rebecca, Venetia Berry et tant d’autres artistes femme qui ne se contentent pas de peindre « l’enveloppe » de leurs modèles, mais interagissent avec leur sensibilité. « Le portrait c’est capter et retranscrire une émotion humaine » affirme Léa. Un portrait, pour elle, ne peut donc être vrai ou juste, il est toujours subjectif, imaginaire. Tout portrait est une interprétation. Et même si elle avoue qu’il est plus instinctif de peindre la femme et de faire ressortir les émotions féminines familières, Léa essaie de plus en plus de peindre aussi les hommes.
LE PORTRAIT EN LUTTE
Pour Léa c’est clair, « maintenant qu’on se prend en photo toute la journée, que l’image est si facilement accessible et que l’on peut faire des photos de qualité en très peu de temps, la représentation fidèle n’est plus ce qui compte ». Le portrait peint, sur lequel l’artiste passe parfois jusqu’à 40h, doit donc s’engager, faire passer un message.
Aujourd’hui, il s’agit d’immortaliser la femme mais aussi la place qu’elle prend dans le monde, dans notre société. Pour Léa, le portrait de la femme doit se faire le témoin des changements qui s’opèrent, des avancées durement obtenues sur le siècle dernier. La femme qui fait un doigt d’honneur au patriarcat. C’est aussi pour ça que ses toiles ne se limitent pas à la femme en elle-même. Ses portraits sont peuplés d’objets, de symboles. Comme dans les portraits imaginaires de Yaël Hupert et ses femmes au perroquet, les « à côté » comptent autant que les femmes représentées. Chez Rebecca, la femme était l’unique sujet, sur un fond neutre. Dans les portraits de Léa, tout fait sens. Cette femme qui tient la modélisation d’un clitoris symbolise à elle seule l’émergence du plaisir féminin, l’envie de se réapproprier son corps et d’en finir avec le tabou des règles. Comme les portraits de cour renvoyaient aux codes d’une société aristocratique, les portraits de Léa témoignent des combats féministes de notre génération. Une image vaut mille mots. Et les portraits de Léa, ultra puissants, peut-être même plus encore.
« Un seul point de vue ne suffit pas il en faut plusieurs pour avoir l’aperçu d’une globalité et toucher une réalité »
PORTRAIT NON-BINAIRE
Question diversité, à la manière de Rebecca Brodskis, Léa traite l’homme et la femme de la même façon. Et va même plus loin avec cette femme aux cheveux longs dotée d’un pénis. Ou est-ce un homme ? Léa mélange dans ce portrait les caractéristiques visuelles généralement associées à chaque sexe. C’est une « fille au masculin, un garçon au féminin » chantait Indochine sur 3ème sexe. « Aucun humain n’est 100 % masculin ou 100 % féminin. On peut naître femme et se sentir majoritairement homme ou naître homme et se sentir majoritairement femme. Et entre les deux il y a des millions de combinaisons possibles » écrit Léa sur Instagram, comme légende à ce portrait intitulé Always on Time. C’est l’égalité de tous les sexes : féminin, masculin, neutre. Le portrait non-binaire. Pour encore plus de diversité dans le portrait de la femme, Léa a aussi une autre idée en tête. Laisser l’homme peindre la femme, « avec sa vision qui évolue et va encore évoluer ». Que l’art se fasse aussi le témoin de son changement de regard et de mentalité, amené par les mouvements féministes. « Comme pour tout, un seul point de vue ne suffit pas il en faut plusieurs pour avoir l’aperçu d’une globalité et toucher une réalité », ajoute-t-elle. Comme on le rappelait dans notre premier épisode sur le portrait de la femme et son voyage à travers le temps et les générations, l’homme a longtemps été le seul peintre de la femme, et il est naturel que les femmes veuillent se réapproprier ce pouvoir. Mais la vraie diversité, l’égalité parfaite, c’est connaître les points de vue de l’homme comme de la femme. Se peindre les uns les autres. Et que l’homme accepte aussi à son tour d’être peint par la femme. Léa confie avoir encore beaucoup de mal à trouver des modèles masculins partants pour faire du nu. « Il sont mal à l’aise, tourne tout à la blague, ils ont peur d’avoir une érection ». Peignons ce que l’on est et ce que l’on n’est pas, ce que l’on connaît par cœur et ce qui nous intrigue. « Des êtres humains, tous différents malgré des innombrables ressemblances », conclue Léa. Ne restons pas prisonnier passif des algorithmes qui nous rapprochent uniquement de ceux qui nous ressemblent.