Le Surf [1/7]
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Chronique
La Nouvelle Vague : comment le surf a formé toute une déferlante d’artistes ?
C’est encore éblouie par la grâce des surfeurs dans l’onde turquoise, capturée lors de mes recherches sur l’art du surf, que je commence à écrire cet article. C’est une évidence, le surf est une pratique esthétique et visuelle qui fait rêver. Elle évoque des spots mythiques, l’Australie, la Californie, Hawaii bien sûr, Bali ou Biarritz. Vient aussi en tête presque immédiatement tout un mode de vie dont on ne peut pas tous faire partie, entre chemises hawaïennes et combi Volkswagen, vagues géantes et liberté absolue. Oui, l’injonction à une vie « réelle » nous en éloigne. Pourtant, des planches en bois ridées par des tous nus à Hawaii à un art de vie inimitable, une culture, carrément, le surf c’est aussi une inspiration féconde pour toute une génération. Mais comment cette pratique en est-elle venue à former une nouvelle vague d’artistes ?
DE HAWAII AU RESTE DU MONDE
Avant de devenir le sport du cool, le surf était il y a bien longtemps une pratique sacrée des Hawaïens, un vrai rituel. À l’époque, et depuis sa naissance vers le XVe siècle, le surf s’appelle He’enalu, littéralement « faire corps avec la vague » et se pratique sur une simple planche de bois. C’est un jeu dangereux, le « sport des rois », comme l’appellera plus tard l’écrivain Jack London, qui permet alors aux chefs de tribus d’asseoir leur pouvoir en domptant l’océan.
Mais bien vite, les missionnaires britanniques s’en mêlent et font interdire le surf, ce sport de sauvages, pratiqué nu. Il faut attendre le XXe siècle pour que le surf se réinvente et surtout, qu’il devienne populaire. Et ce grâce à des écrivains aventuriers qui visitent Hawaii et testent le surf, comme Mark Twain ou Jack London, toujours. Avec leurs récits, ces deux écrivains américains emblématiques de l’époque amènent le surf aux États-Unis et l’offrent au grand public. De là, apparaît la littérature surf, puis les beach movies américains dont le plus célèbre reste Gidget, sorti en 1959. Malgré son scénario un peu cliché – Frances rencontre un jeune surfeur pendant ses vacances d’été – il lance la culture surf. Et quand le cinéma hollywoodien s’accapare de quelque chose, il devient mainstream. Rapidement, le monde entier veut faire partie de cet univers, peuplé de plages et de jolies blondes. En parallèle, Duke Kahanamoku, célèbre surfeur hawaïen et champion olympique de nage libre, profite de ses compétitions de natation pour faire des démonstrations de surf. Il permet d’introduire la pratique en Australie, puis de la développer sur la côte Ouest des États-Unis. Petit à petit, le surf se professionnalise ; les premiers clubs font leur apparition en Californie dans les années 1920 et le premier championnat américain se tient quelques années plus tard à Corona del Mar, un quartier de Newport Beach.
Après la seconde guerre mondiale, la Californie devient véritablement la nouvelle capitale mondiale du surf. C’est là, entre les années 1950 et 1960, que naît véritablement le mode de vie surf. Des jeunes de la beat generation ou du mouvement hippie consacrent entièrement leur existence au surf. Ils ne vivent que pour la vague et s’opposent ainsi à l’Amérique des années 1960, à la société de consommation grandissante et aux travailleurs bien rangés en costards. C’est l’esprit surf dans sa plus pure essence. Le surf continue de se professionnaliser et les tournois mondiaux créent continuellement de nouvelles générations de surfeurs. C’est un autre surf, plus commercial, moins libre. Il devient une économie qui rapporte et des marques de surfwear, toujours en vogue aujourd’hui, voient le jour. On a nommé Ripcurl, Billabong, Quicksilver… Grâce à ces marques, le lifestyle devient accessible, même pour ceux qui ne surfent pas. Il attire les marques et les industries. Le surf se démocratise alors encore un peu plus et les adeptes se multiplient, jusqu’à compter 23 millions de surfeurs dans le monde. Cette année 2020, le surf va devenir officiellement une discipline olympique aux prochains jeux de Tokyo. Dernière étape d’une consécration populaire et mondiale.
LE SURF WAY OF LIFE
« Le surf est le seul sport qui ait donné naissance à sa propre culture », explique Robert Frederickson du Musée International du Surf à Huntington Beach, Californie. Mais pourquoi le surf fascine-t-il tant au point que l’on parle de culture ? Un mot si fort, qui implique un patrimoine social commun, acquis ou hérité. Aujourd’hui, ça ne fait plus de doute, le surf, plus que n’importe quel autre sport – au risque d’en fâcher plus d’un, aucun autre sport ne fait fantasmer à ce point, pas même le tennis ou le football qui n’ont pas atteint cet absolu -, c’est un état d’esprit, un mode de vie. Un way of life.
L’héritage fait partie de la formation d’une culture, elle devient commune, partagée puis se transmet.
Les surfeurs sont des nomades, dans l’errance permanente. Qui vivent leur vie « entre mer et parking », écrit le journaliste Christophe Agnus. Le surfeur ne peut s’installer à un seul endroit puisque la vague, elle, n’a pas de domicile fixe et surtout, elle n’attend pas. Il prend la route, vit sans attache, sans contrainte. Un jour à Biarritz, le lendemain à Nazaré, peut-être… Sa vie entière est dédiée à la pratique. Bien loin de nos horizons contemporains étriqués de citadins coincés entre bureaux et métros. Le surf, lui, doit se vivre à fond. Plus qu’une passion c’est un mode de vie dicté par son élément constitutif, la vague capricieuse. Une autre vision de la vie qui effraie, mais que l’on fantasme. C’est le surf way of life : « Plus qu’un sport, c’est un mode de vie, un lifestyle, dans la mesure où la pratique du surf devient rapidement une priorité. Le surfeur va organiser son emploi du temps en fonction de celle-ci », écrit le surfeur et chercheur Jeremy Lemarié. Le réalisateur Antoine Besse confronte deux générations de surfeurs dans son documentaire Courbes – visionnable gratuitement pendant le temps du confinement, ndlr. Des surfeurs qui s’envolent loin et attendent la vague plus d’une semaine s’il faut, en campant à l’arrache sans le sou mais dans la bonne humeur. Qui préfèrent travailler 6 mois de l’année 15h par jour comme des acharnés, pour prendre la vague le reste du temps. Ce mode de vie, forcément, implique des connaissances, un savoir-faire, des coutumes. L’héritage fait partie de la formation d’une culture, elle devient commune, partagée puis se transmet. Elle a aussi son propre vocabulaire. Take off, roller, tube, long board, glassy, beach break… Il faut faire partie du groupe pour comprendre.
La culture surf c’est aussi, bien sûr, les surf trips. Pouvoir partir, comme les deux Californiens du film culte The Endless Summer à travers le monde chercher la vague. Ce film de 1966 qui a donné à toute une génération l’envie d’aller voir ailleurs, plus loin qu’au bout de sa rue. Le surf, c’est une aventure, c’est explorer le monde, souvent avec sa bande de potes. Et là-bas, rencontrer une communauté de surfeurs du monde entier. « Aucun groupe ou sous-culture n’a parcouru le globe aussi largement que les surfeurs », confirme le surfeur Kevin Naughton. Et c’est ainsi que la culture surf se propage, se prêche et conquiert le monde, toutes classes sociales et origines confondues.
« Tu prêtes momentanément ta vie à Dame Nature »
Mais ce qui finit de rendre le surf irrésistible et attirant, c’est son côté dangereux. Tout le monde ne peut pas s’improviser rider. Le surf, c’est l’homme fragile et mortel face à la vague immense et éternelle. Pour Steve Pezma, ancien rédacteur en chef de Surfer Magazine, « c’est une forme d’interaction avec la vie, toucher le visage de Dieu ». C’est oser se confronter à cette vague mythique, indomptable, imprévisible. Avoir l’audace de croire que l’on peut dompter l’océan. Bref, un pari fou. « Tu prêtes momentanément ta vie à Dame Nature », entend-t-on dans le docu d’Antoine Besse. Et tant pis pour les chutes ou le risque de se faire happer par les flots. Seule la vague détient la vérité.
C’est ce surf libre, loin des compétitions, des films Hollywoodiens, de la médiatisation et des récupérations commerciales qui a vraiment donné naissance au surf way of life, celui très simple des campings, des réchauds, des feux de camp sur la plage. Et forcément, cette pratique empreinte de liberté a façonné toute une génération d’artistes, qui ont tenté par tous les moyens de l’illustrer, de la peindre, de la photographier ou de l’écrire. Désormais, le surf, c’est une culture vécue soit par des débutants en vacances, soit par des marginaux qui, par définition, intrigue. Qui, à l’heure du 4.0, se permet d’attendre un rouleau d’eau ? C’est la nouvelle vague.
DE LA CULTURE SURF, À L’ART DU SURF
On l’a dit, depuis ses balbutiements, le surf est intimement lié à l’art, aux écrits et au cinéma. Qui lui ont permis de se faire connaître, bien au-delà d’Hawaii où les indigènes gravaient déjà des scènes de surf sur des poteries ou des morceaux de bois. Depuis peu, le surf art a pris une nouvelle tournure en entrant dans les musées. À Biarritz, ville tournée vers les vagues, la scène culturelle émergente explose. On s’y était rendues pour témoigner du bouillonnement riche qui s’offre à une culture éminente. C’est là que l’on avait échangé, entre autres, avec le photographe César Ancelle-Hansen qui capte de manière hyper esthétique et poétique, la vie sur l’eau. Biarritz, la première ville à avoir reconnu le surf art, en lançant en 2007 le premier marché international de l’art consacré uniquement au surf. Des sculpteurs, peintres, photographes ou cinéastes du monde entier y sont exposés pour rendre hommage à ce mode de vie. Un autre exemple, le musée d’Aquitaine de Bordeaux a accueilli en fin d’année 2019 une exposition intitulée, La déferlante surf, sur l’histoire et la culture surf depuis ses débuts avec l’objectif clair « de faire entrer le sport au musée dans sa dimension culturelle ». Le surf fait sa place dans la grande institution qu’est l’Art.
Mais attention, il faut savoir différencier l’art du surf de ses récupérations commerciales. Car aujourd’hui, même les plus grandes marques de luxe misent sur le surf et son lifestyle. Au-delà des planches hors de prix de Chanel ou de Marc Jacobs, le surf s’invite sur les podiums avec ses chemises hawaïennes. On est loin du surfeur sans le sou, sans attache. Ou du chef hawaïen avec sa planche en bois. Les marques, et c’est le cas de le dire, surfent sur la tendance. Le surf est devenu un art, mais aussi une mode qui rapporte gros, ce que d’anciens surfeurs ont du mal à encaisser. La contre-culture devient alors le vrai art du surf, c’est l’art indé, réalisé souvent par des surfeurs eux-mêmes qui font de la pratique et des vagues leur sujet de prédilection. Qui représente le surf tel qu’il est, et non pour faire rêver ou vendre. Comme Alain, de The Minimalist Wave, surfeur et illustrateur obnubilé par les flots, qu’il dessine en noir et blanc et en hachures. Ou à l’image de l’un des films culte du surf, Momentum, sorti en 1992. Film indé réalisé au caméscope qui a marqué les esprits et introduit la nouvelle vague de surfeurs, sur fond de musique punk rock. C’est l’art du surf par les surfeurs, une contre-culture proche de la nature, loin des préoccupations matérielles. Comme un retour aux origines. Besoin de rien que d’une planche et d’un maillot de bain. Ou pas.
Les trois prochains jours de cette semaine, on vous fait découvrir sur Tafmag des artistes qui travaillent l’art du surf et l’esthétisent avec brio. Ils le peignent, le photographient, l’illustrent et probablement le pratiquent. Ils nous parleront de leur vision de ce monde du surf, irrésistible et impalpable pour le commun des mortels. Rendez-vous tous les jours à 11h pour découvrir leurs univers, leur surf art qui nous ont particulièrement touchées et qui témoignent d’une effervescence extrême.
Retrouvez le dossier au complet sur nos artistes du surf avec
[2/7] Jeremy Le Chatelier : La culture surf jusqu’à Montréal
[3/7] Les Filles du surf, montrer autre chose que des bonnasses sur une planche
[4/7] Jon Sanchez, photographier la vague
[5/7] César Ancelle-Hansen, photographie « soleil-bonheur-chaleur »
[6/7] The Minimalist Wave : la vague et ses rouleaux hachés
[7/7] Jo-Anne Henderson : le surf way of life depuis son berceau néo-zélandais