Natacha Paschal[FRA]
- Art & Peinture
Chronique
Natacha Paschal, peintre du paradoxe
À la croisée de la mode et de l’univers glacé des magazines, la peintre parisienne Natacha Paschal démystifie l’imagerie dominante grâce à ses figures branchées et décalées de fashionistas. Rencontre avec une artiste engagée qui manie parfaitement l’art du paradoxe.
Trash & clash
Natacha peint des portraits, des femmes surtout. Elles se nomment Gigi, Daisy, Chelsea. Elles sont blondes, brunes, rousses, noires, blanches. Vêtues de rouge, de vert, de bleu, de mauve et de couleurs voyantes, elles attirent immédiatement le regard. Leurs visages nous sont familiers, ils font partie de notre imaginaire commun, celui du monde merveilleux du papier glacé : les magazines de mode. Car les femmes de Natacha sont des cover-girls, des mannequins, des anonymes, des filles stylées aux looks branchés. Les joues fardées, la bouche pulpeuse, les yeux maquillés, elles font la couverture de Vogue ou de Playboy, posent avec un tee-shirt Céline ou des lunettes Balenciaga et portent la balaklava comme personne. Les filles de Natacha sont cools avec cette pointe d’assurance et ce regard qui semble défier l’autorité. Aucunes ne se ressemblent et pourtant, toutes partagent cette attitude frondeuse, cet air rebelle et assumé.
“L’exagération, c’est l’essence de mon travail. Plus c’est huge, improbable ou exagéré, plus j’aime.”
Car si ces femmes incarnent un fantasme ou un désir, elles sont aussi l’expression d’un rejet, celui des normes et des valeurs établies. Le rejet d’un idéal unique et d’une beauté figée. Il y a une touche punk dans les portraits de Natacha, un certain goût pour la dissidence. “J’ai un style un peu trash. Je l’assume. Je refuse l’injonction de la femme unique et parfaite : trentenaire, blanche, hétéro, glamour. Je refuse que l’on me dise comment me comporter, comment être sexy, comment penser… ”, explique t-elle. Pour exprimer ses idées, Natacha force le trait et manie l’art de l’exagération à la perfection. “Je ne cherche pas les idées traditionnelles de la beauté, j’aime que mes personnages aient de mauvaises dents ou de mauvais visages”, confie-t-elle. “Je n’aime pas ce qui est lisse, le message se perd. J’aime les propos radicaux. L’exagération, c’est l’essence de mon travail. Plus c’est huge, improbable ou exagéré, plus j’aime.” La jeune peintre navigue ainsi entre l’influence classique de marques comme Chanel ou Dior, dont elle s’amuse des clichés, et les poses pop et ostentatoires des Hadid ou des Kardashian. En reprenant des couvertures de magazines ou des shootings de mode, Natacha se plaît ainsi à déconstruire les codes en les détournant au plus près.
More is more
Dans son salon-atelier parisien, Natacha peint contre le mur ou à même le sol. Dans cette pièce emplie de gri-gris, d’illustrations, de bibelots et de livres, elle crée ses personnages en s’inspirant librement des couvertures de magazines ou des publicités de mode. “Plus jeune, je vivais dans un petit village à une heure de Paris. Au bout de ma rue, il y avait un kiosque à journaux. Je passais ma vie à acheter des magazines, à découper des articles et des images. Ça me fascinait sans que je ne comprenne réellement le contenu de ce que je lisais. Toutes ces incitations aux régimes notamment, ce refus de manger des gâteaux au chocolat. Mais pourquoi ? Je ne comprenais pas. Maintenant, je n’en n’achète même plus.” À défaut de les acheter, Natacha les crée. Sa série consacrée à Vogue propose ainsi une reconstitution du magazine à travers une vision singulière et décalée à rebours des icônes fantasmées de la bible de la mode américaine. “J’ai un véritable sentiment de fascination-répulsion pour les belles images des magazines et de la mode. Cette contradiction est au cœur de mon processus créatif.”, confesse-t-elle.
Exagérer, sublimer, oser. Exagérer les visages, les expressions et les postures. Sublimer les paradoxes et les contradictions. Oser avoir des idées et des revendications. Oser, c’est peut-être ce qui définit le mieux l’artiste parisienne qui s’est lancée dans la peinture il y a quatre ans. “Après avoir suivi des études artistiques, une prépa d’art et un BTS en graphic design, je sentais que je ne m’épanouissais pas pleinement dans cette pratique. Après être tombée malade, j’ai décidé de me lancer à fond dans la peinture et de trouver mon propre style. Puis les choses se sont emballées, j’ai trouvé un agent et j’ai continué.” Entre ses commandes pour des marques ou des magazines comme Grazia, la jeune femme poursuit son oeuvre, laissant de plus en plus de place aux textes et messages qu’elle souhaite diffuser. Sur son compte instagram, ses peintures de mode, comme cette robe Viktor & Rolf “I didn’t want to come” côtoient ainsi ses œuvres personnelles et ses dessins à messages comme ce credo féministe : “Woman is the eagle”.
Ne plus avoir peur d’être originale, ou riche, ou bizarre, ou princesse. Ne plus craindre d’être trop militante. Ou pas assez. Arrêter de rentrer dans des cases, dans celles que l’on veut vous accoler, c’est donc le défi que s’est lancé Natacha à travers ses peintures et ses illustrations. “J’ai grandi avec une mère qui m’a toujours dit : sois féministe. À l’époque, je ressentais une certaine révolte en moi, c’était là, mais il me manquait l’expérience et la réflexion. Aujourd’hui, mes œuvres et mes idées sont le reflet de mon parcours personnel. De mes lectures aussi : Gloria Steinem, dont j’ai dévoré les livres, ou plus récemment, la journaliste Lauren Bastide, l’écrivaine Roxane Gay (Bad Feminism) ou encore Chimamanda Ngozi Adichie avec son essai ‘We Should All Be Feminist’.” Pour son prochain projet, Natacha entend réaliser une série de portraits de jeunes femmes à travers leurs propres mots. L’histoire se poursuit…