Em Cole[GBR]

  • Photographie & Cinéma

Interview

Le 29.10.2018 par JULIETTE MANTELET

Une partie de l’équipe Tafmag étant désormais à Londres, c’est l’occasion de partir à la découverte des talents émergents outre-manche. La première à nous avoir tapé dans l’œil, c’est Em Cole, jeune photographe déjantée. À voir son site, on se demande où l’on est, entre les couleurs pastel, les femmes peinturlurées en rose, les Gifs décalés à la Magritte et la nourriture qui ne cesse de dégouliner de partout.

Les photographies d’Emily multiplient les clins d’œil artistiques, s’amusent des nouvelles technologies et surtout détournent les images traditionnelles de la femme pour mieux les dénoncer. L’humour, la méthode la plus efficace selon l’artiste pour que « les gens acceptent de s’ouvrir et de s’intéresser à ton message ». L’humour qui parcourt aussi toute notre interview : « Em » est spontanée, drôle, joyeuse et surtout engagée. Si ses photographies paraissent à première vue purement absurdes, elles cachent en réalité une vraie part de revendication.

humour toujourS

En rencontrant Em, on comprend vite que l’humour, en plus d’être son arme artistique et aussi un trait déterminant de son caractère. Elle est souriante, enchaîne les blagues et semble surtout prendre les choses à la légère. Même quand elle évoque un épisode un peu noir de sa jeunesse, pendant laquelle elle a été victime d’abus sur Internet (un sujet sur lequel elle est d’ailleurs en train de réaliser un film documentaire), elle garde le sourire. « J’essaie de trouver de l’humour partout, malgré les choses difficiles qui me sont arrivées », explique la jeune femme, souriante.

L’humour dans sa vie donc, mais aussi dans son art. Pour pouvoir aborder ces sujets un peu controversés et éviter que les gens ne se ferment. Un humour pince-sans-rire à l’anglase, mêlé à des matériaux marrants, des compostions décalées et beaucoup d’ironie. « Quand tu parles du féminisme, ou de personnes marginalisées, l’humour permet de ne pas effrayer directement. C’est donc beaucoup plus efficace ». Pour ses shootings, Emily préfère d’ailleurs prendre ses amis comme mannequins pour être sûre de passer un bon moment : « On n’a pas d’argent alors autant en profiter et s’amuser ».

La plus peintre des photographes

Les photographies d’Em sont de pures créations. Elle imagine de toutes pièces une composition, un peu comme un peintre. « Je souhaite que mes photographies ressemblent à des tableaux et vraiment pas à la réalité », précise très vite l’artiste. Elle n’aime pas se définir comme vidéaste ou photographe et se dit plus largement une « artiste qui se base sur l’image ». Les artistes qui l’inspirent sont d’ailleurs majoritairement des peintres. « Mes images sont des collages numériques ; rien ne vient seulement de ma caméra. Ce sont comme des tableaux qui se construisent couche par couche », décrit la jeune femme. Et c’est à l’aide de Photoshop, un outils tout autant primordial (si ce n’est plus) que sa caméra, qu’elle perfectionne sa toile. Em affirme d’ailleurs ne toujours pas maîtriser parfaitement la technique photographique.

C’est en juxtaposant des éléments étranges, un mélange de beau et de dérangeant qu’Em compose une réalité nouvelle. Elle invente des images très sensorielles où se mélangent textures et couleurs. L’artiste est d’ailleurs atteinte de synesthésie, un phénomène neurologique par lequel deux sens se retrouvent associés. Chez elle, ce sont les couleurs et le goût. Certaines couleurs lui font en effet ressentir des sensations dans la bouche. « Ça se voit dans mes photos, je suis obsédée par les textures, la nourriture », confirme-t-elle.

L’instant inventé

Em n’est donc pas la photographe de l’instant décisif, mais plutôt de l’instant recréé, inventé. Un peu à la manière de Billie Thomassin, rencontrée à Circulation(s), Em dessine dans des carnets des croquis les scènes qu’elle veut shooter et n’arrive jamais à un tournage sans savoir exactement ce qu’elle veut. « Je suis très méticuleuse », rit-elle avant de raconter pouvoir rester debout jusqu’à 5h du matin avant un shooting pour dessiner dans le noir.

Selon Em, cet univers original permettrait de faire sortir les spectateurs de leur zone de confort et les rendre ainsi plus ouverts au discours. Car si ses images au premier regard ont surtout l’air amusantes, décalées et colorées, elles n’en cachent pas moins un message frappant, notamment autour de l’image de la femme. La femme, ou plutôt les femmes, à qui Emily souhaitent offrir un espace de représentation à travers son art.

1001 femmes

La technologie est un espace idéal pour parler, critiquer et donner une voix aux marginalisés. La photographe souhaite avant tout « transgresser l’image de la femme dans le monde numérique ». Elle se joue des images qui existent autour de celle-ci, que ce soient les représentations dans les publicités à la télévision, les photos de mode ou même les tableaux de la Renaissance. Emily reprend ses schémas et pour mieux les dénoncer. Elle raconte par exemple sa série, « Touch me baby » : « On voit tout le temps des photos de femmes avec de la nourriture dans les publicités. J’ai donc décidé de les refaire avec des hommes. Et bizarrement c’est devenu très dégoûtant. Une femme avec un fruit entre les seins, on trouve ça sexy, mais avec des hommes, ça fait rire. Voilà le problème ». Pour l’artiste, les images de la femme sont infinies et elle souhaite en présenter une différente dans chacune de ses œuvres. Célébrer la diversité et ne pas cantonner la femme à son mythe de femme fatale ou à celui de la femme objet. Voilà une priorité.

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