Delfina Carmona[ARG]
- Photographie & Cinéma
Interview
Le confinement ne perturbe pas tant que ça le processus artistique de notre artiste et photographe du jour, Delfina Carmona. D’abord et surtout parce que « Delfi », c’est une photographe de l’intérieur, minimaliste.
Quelques objets insolites, des fruits, des teintes chaudes et primaires, une belle ombre sur un mur, une mise en scène décalée d’elle-même et le tour est joué. C’est là le talent de Delfina : savoir créer tout un univers avec ce qu’elle a autour d’elle, chez elle. Une vraie inspiration justement aujourd’hui, pour tous les artistes en herbe qui se découvriront chez eux. Pas besoin d’aller très loin ou de fouler des paysages inédits pour faire des photos, tente-t-elle de nous convaincre.
Delfina est confinée dans l’appart qu’elle loue à Buenos Aires, avec Momo, son compagnon de vie et binôme artistique et avec leur chat Cley. Avant tout ça, ils comptaient déménager à Berlin pour changer de vie. Pour ces trois-là, on ne se fait pas trop de souci, le confinement devrait se passer sans encombre. Delfina prendra ce temps hors du commun, hors du temps ordinaire, pour créer et imaginer de nouvelles images sous le prisme des émotions ressenties au cours de cette période et « profiter l’un de l’autre ». Et surtout, elle invitera à prendre l’avantage de cette situation en se reconnectant à nous-mêmes et en étudiant « la leçon que nous donne la planète, une fois de plus », s’exclame-t-elle avant d’ajouter : « il n’est pas possible de ne pas tenir compte de cet avertissement ». Allô l’humanité, ici la Terre, faudrait arrêter de déconner.
Avec Delfina, on a échangé, par mails et sur les réseaux. Et on a réalisé une fois de plus la magie de ces réseaux sociaux qui permettent de connecter une artiste installée à Buenos Aires avec une journaliste de Londres et une rédaction parisienne. Une magie accentuée en ces temps de confinement et d’apéros Skype qui nous offre la possibilité de continuer à vous faire voyager et rêver par nos articles chaque jour, sur les réseaux. Interview.
« J’essaie tous les jours d’être la protagoniste du film de ma propre vie ».
Quand tu apparais sur les images, qui est derrière la caméra ?
La plupart du temps, j’ai un « partner in crime » qui m’aide dans mes projets et dans mes tournages. C’est aussi un artiste très talentueux et le meilleur partenaire de vie, @momo.scacchi. Il prend de nombreuses de mes photos, sous ma direction artistique.
« Ce jour-là, j’ai mis une robe de soirée blanche, j’ai dessiné une grosse moustache avec de l’eye-liner ».
Tes débuts dans la photo ? Ton premier autoportrait ?
Mon premier petit ami était photographe et avait un appareil photo argentique. J’ai commencé à m’entraîner avec lui. Je pense qu’à cette époque, je n’imaginais pas que je pourrais faire ça de ma vie, c’était plus comme un jeu, une façon de comprendre ce qu’il était en train de faire. Jusqu’à ce que quelque chose clique en moi et devienne ma grande passion.
Mon premier autoportrait, c’était sûrement au cours d’un exercice pendant mes études de photographie, où les devoirs consistaient à nous photographier. Ce jour-là, j’ai mis une robe de soirée blanche, j’ai dessiné une grosse moustache avec de l’eye-liner, j’ai pris une tasse de thé dans mes mains et je me suis assise devant la fenêtre dans une chaise en bois. J’ai fait la photo en noir et blanc. Voilà.
Quelle est la réalité de la vie d’artiste en argentine ?
Pour de nombreux artistes, la vie ici n’est pas facile. La réalité socio-économique du pays est très difficile et en constante évolution. C’est difficile d’accéder à une certaine stabilité. Personne n’a d’argent pour payer correctement votre travail et l’art n’est pas considéré comme un besoin essentiel. Du coup, le travail des artistes peut vraiment être dévalué et peu importe le lieu, les rémunérations sont généralement très faibles. Nous devons travailler dur pour obtenir des choses qui demandraient ailleurs moins d’efforts. Aujourd’hui, mes journées alternent entre productions pour des marques en tant que directrice artistique et mon propre contenu.
Trois artistes à Buenos Aires qu’il faut SUIVRE absolument ?
J’admire le travail de Mariana Pacho López, Mariela Paz Izurieta, Monty Kaplan (déjà présenté sur Tafmag ndlr) et Momo Scacchi, of course !
Avant le confinement et la pandémie, tu voulais déménager à Berlin, pourquoi ?
Je suis arrivée à un point de mon travail où je sens que je dois prendre une nouvelle direction, changer de lieu et élargir mes possibilités. Je suis heureuse ici mais il y a quelque chose qui me manque et que je veux essayer de trouver ailleurs. Je suis allée à Berlin deux fois au cours des deux dernières années et c’est une ville qui m’a complétement conquise. L’énergie, les gens, l’art, les possibilités d’y créer quelque chose… Je suis consciente que c’est un endroit radicalement différent de là d’où je viens… La culture, la langue, la météo peuvent être difficiles mais je dois me tester ailleurs, quitter ma zone de confort. Même la lumière sera différente, je le sais.
Tu es très suivie sur Instagram, quel est ton rapport À ce réseau ?
Sur Instagram, je peux me montrer librement : mon quotidien, les gens que j’aime, ce que je porte, la musique que j’écoute… J’essaie de le faire le plus naturellement possible. Instagram c’est pour moi un moyen de me rapprocher des gens, d’être normale, de démystifier l’artiste et de montrer que nous sommes tous les mêmes, d’une certaine manière.
« Je sais qu’à ce stade, cela ressemble à un synopsis de Star Wars. »
Pourquoi cet amour et cette fascination pour les ombres ?
C’est sûr, j’adore les ombres. J’aime les photographier, jouer avec ma propre ombre, avec celle des autres. Je ne sais pas vraiment d’où est né cet amour, mais dans un sens plus personnel et philosophique, cela a peut-être à voir avec mon côté obscur, avec ce qui est caché et qui fait également partie de moi-même. Le concept de l’ombre qui nous suit et ne nous quitte jamais a à voir avec l’acceptation de cette partie de nous qui nous est un peu inconnue.
J’ai également toujours aimé la relation entre la lumière et les ténèbres et l’équilibre entre les deux (je sais qu’à ce stade, cela ressemble à un synopsis de Star Wars) et comment ils ont besoin l’un de l’autre pour vivre en harmonie. Voilà, j’ai toujours aimé les ombres et les reflets dans les miroirs. C’est à la fois nous et pas vraiment nous.
Ton moment préféré pour faire des images ?
L’après-midi, quand le soleil envahit tout mon appartement. Mais aussi la nuit, avec ses ténèbres et la possibilité qu’elle offre de mélanger des lumières colorées.
Tu es souvent le propre sujet de tes photographies, à la manière d’une actrice. Tu es à l’aise avec ton corps ET TON IMAGE ?
J’aime vraiment me représenter, cela me permet de faire vivre avec plus de précision et de fidélité une idée que j’ai et que je ne saurais pas comment exprimer à quelqu’un d’autre. J’essaie tous les jours d’être la protagoniste du film de ma propre vie. J’ai fait beaucoup de théâtre, cela m’aide à me sentir à l’aise devant une caméra. Je pense qu’aujourd’hui, je peux en effet dire que je suis très sûre de moi. C’est le travail d’une vie et il y a toujours des jours où je m’aime plus que d’autres. En tant que femme, on doit se battre chaque jour avec de nombreuses injonctions patriarcales qui nous empêchent de nous aimer et de nous accepter telles que nous sommes. Mais beaucoup de choses changent dans le monde, dans l’art, dans les médias et cela me fait plaisir de voir tant de femmes si autonomes et fières d’elles-mêmes. Il y a encore beaucoup à conquérir.