Culture Cul [1/6]
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Chronique
Culture Cul ou comment parler sexualité en 2020 ?
On vous a parlé récemment de la plage et de l’érotisme des corps d’été. Il fait chaud, c’est le mois de juillet, les cerveaux s’emballent, c’est la saison des corps. Caliente. Il nous a paru évident d’aborder maintenant la sexualité dans ce nouveau dossier d’été.
Et plus particulièrement la question complexe de l’éducation sexuelle et de la Culture Cul, de L’Origine du Monde de Courbet à la série Sex Education. Dans notre société ultra connectée où les femmes se réapproprient enfin leur sexualité grâce à des comptes Instagram super pédagogiques – Jouissance Club, T’as joui, Je m’en bats le clito, Merci Beaucul, Gang du Clito pour ne citer qu’eux – la censure n’a pourtant jamais été aussi sévère. La moindre photo qui révèle un téton féminin se fait supprimer impitoyablement sur Instagram. Alors comment parler cul en 2020 ?
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Ben oui. Allez hop on se dit tout ! . —- . Hell yeah. So what are we waiting for ?
Sexualité : je t’aime, moi non plus
Comme sur les plages, où l’histoire des corps a suivi une logique de voilement et de dévoilement successifs, l’art et la sexualité entretiennent eux aussi une histoire complexe, faite d’alternance de périodes ultra libérés et de moments de grande pudeur, suivant bien sûr toujours l’évolution des mœurs.
On le disait dans notre dossier sur le Portrait de la Femme à travers les siècles, le nu, et plus particulièrement le nu féminin, a toujours été l’un des sujets de prédilection des artistes. On le rappelle, si aujourd’hui il est impossible de montrer un sein sur les réseaux, les statues grecques et romaines dévoilaient, elles, sans problème la poitrine des femmes et le sexe des hommes. On connait tous la Vénus de Milo, exposée les deux seins à l’air et les tétons bien visibles dans les salles du Louvre. La sexualité en tant que telle fera pourtant son coming out artistique très tard, au XIXe siècle, après plusieurs siècles de tabous religieux. Avec les toiles de Manet d’abord, le Déjeuner sur l’herbe ou l’Olympia et ses femmes intégralement nues. Deux tableaux, interdits dans les Salons, mais qui font parler d’eux et contribuent à libérer le corps de la femme. En 1866, vient le scandale de L’Origine du Monde. « Gustave Courbet a peint le tableau le plus provocant et le plus secret du XIXe siècle » rappelle Le Parisien… C’est « une œuvre qui dévoile tout » pour Vanity Fair. Et pour cause, on y voit uniquement le sexe de la femme, et c’est la première fois qu’il est ainsi représenté. À tel point que la toile n’a pu être exposée dans les musées qu’en 1995, 125 après sa réalisation. C’est la célébration frontale du corps de la femme qui fait scandale. D’habitude, on esthétise, on idéalise, on préfère les allusions détournées. Là c’est l’organe génital cru, sans détour. Alors forcément, Courbet dérange. Comme Baudelaire et ses poèmes érotiques quelques années auparavant. Dès la parution des Fleurs du Mal en 1857, un bon nombre de poèmes sont censurés pour leur caractère sensuel et charnel, ils « ignorent la morale religieuse ». Une morale religieuse qui pèse encore en 2020 sur la représentation du sexe ?
Ces œuvres aujourd’hui on les étudie et elles ne choquent plus. Les poèmes de Baudelaire ont été réhabilités, L’Origine du monde est accrochée au Musée d’Orsay. La libération sexuelle est passée par là. On est en mai 68, c’est la fin de la guerre d’Algérie. Une période de paix et de stabilité, d’expansion économique et sociale. « Faites l’amour, pas la guerre ». « Interdit d’interdire ». « Vivre sans temps morts, jouir sans entraves », sont les slogans de ces années-là. Les femmes se réapproprient leur corps et leur jouissance. Cette nouvelle sexualité libre éclate aussi dans le cinéma de l’époque, avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague. C’est Jeanne Moreau qui batifole entre Jules et Jim, Bardot en bombe dans Le Mépris, la liaison de Patricia, jeune étudiante, et de Michel Poiccard dans À bout de souffle, Trintignant qui passe la nuit chez Maud. Une époque de liberté absolue.
La sexualité, dans l’art comme dans la société, c’est cet aller-retour permanent entre pudeur et libération.
Mais quinze plus tard, cette jeunesse est rattrapée par les années Sida. Après le temps de la libération sexuelle vient celui de la peur. Le sexe devient intimement lié à la maladie et à des problématiques d’hygiène. Et redevient tabou. Encore plus l’amour homosexuel. La sexualité, dans l’art comme dans la société, c’est cet aller-retour permanent entre pudeur et libération. Nouveau bond dans le temps. En 2020, alors que notre époque se veut ultra connectée et libérée, sur un même réseau qu’on appelle Instagram, les paradoxes demeurent. Des artistes sont nombreux à s’engager et à aborder le sexe sans détour sous toutes ses coutures, quand d’autres utilisateurs se lancent dans une croisade contre la moindre image un peu dénudée, le moindre téton qui pointe. Impossible pour nous de poster ce cliché de Monica Figueras d’une femme torse nue en été dans notre dossier plage sans ajouter un petit cercle noir sur son sein. L’illustratrice Agathe Sorlet, elle, se voit censurer en décembre dernier son Kamasutra lesbien, mais pas celui hétérosexuel. On n’y comprend plus rien mais le sexe est partout. Dans les pubs et les films à la T.V, dans les clips musicaux toujours plus vulgaires, dans le porno toujours plus accessible, dans les photos d’influenceuses toujours plus dénudées… Et pourtant, sur les réseaux, la censure est de retour. Entre interdiction et libération, tabou et aisance, sujet naturel ou contestataire, on ne sait plus vraiment comment parler de sexe. Ce qu’il faut revoir en 2020 c’est alors l’éducation sexuelle. Dans laquelle les réseaux jouent aussi un rôle important.
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REPENSER LA SEX EDUCATION
« S’il y a 20 ans, l’urgence était de distribuer des capotes pour tenter d’endiguer le grand mal de cette fin de siècle qu’était le Sida, aujourd’hui la prévention ne concerne plus uniquement le catalogue de MST ». Cette phrase, qui résume le livre Génération Q écrit par Dr Kpote, expose clairement le problème de l’éducation sexuelle aujourd’hui. Ce qui a dominé longtemps et continue d’être la norme, c’est d’enseigner la contraception, les MST et comment se protéger, à coup d’enfilage de capotes sur des bananes… Mais jamais comment prendre son pied. L’éducation sexuelle doit être repensée, revisitée, adaptée.
On n’a pas retenu grand-chose, il faut bien le dire, de ces cours sur la sexualité, d’ailleurs toujours affublés du terme « prévention ». Et pas forcément tellement non plus de ce petit speech awkward de nos parents en début de relation. On a plutôt appris avec nos copines, ou avec notre bon vieux Dico des filles. Il faut donc changer la manière d’aborder le sexe à l’école. « La sexualité, ce n’est pas seulement du cul », revendique le Dr Kpote. Parler sexualité, à ses yeux, c’est aussi, « parler de relation à l’autre, de consentement, d’empathie, de respect ». L’éducation sexuelle se doit aujourd’hui d’être « très inclusive », continue-t-il, d’intégrer tout le monde, de parler de non-binarité. Et de prendre en compte aussi le plaisir féminin, grand oublié. À la rentrée 2017, un seul manuel de SVT sur 8 représentait le clitoris correctement. Heureusement, de nouveaux outils voient le jour, comme le clitoris en 3D à échelle réelle de la chercheuse Odile Fillod et permettent d’aborder de nouvelles dimensions de la sexualité. Comme la question de l’anatomie. Pour Dr Kpote, les adolescents qui maîtrisent les pratiques les plus extrêmes de la sexualité par le porno, ultra accessible sur le net, sont tellement focalisés sur la performance et l’orgasme qu’ils en oublient la connaissance de leur corps. Le porno, c’est aussi une sexualité à la carte, il faut rentrer dans des cases. On a donc grandement besoin d’une éducation sexuelle digne de ce nom à l’école pour démolir ces clichés simplistes.
« Le sexe, ça se découvre. Plus on communique, plus on apprend, et plus on kiffe ! »
À l’image de la série à succès de Netflix, Sex Education, qui a atteint 40 millions de vues après un mois de présence sur la plateforme. Beaucoup ont dit qu’elle était carrément d’utilité publique. La série met en effet en avant les questionnements de lycéens sur la sexualité, avec une troupe d’étudiants en pleine adulescence. Dès les premiers épisodes, on constate que les jeunes de la série se forgent une image faussée de la sexualité, basée sur les injonctions de la société ou les clichés du porno. On est témoin de la nullité des cours d’éducation sexuelle, gênants. Et du besoin vital de cette jeunesse de pouvoir parler à quelqu’un de leur problème et de recevoir des conseils. Pas seulement anatomique ou purement sexuel, mais psychologique. À travers les deux premières saisons, une diversité incroyable de sujets est aussi abordée. Parmi lesquels (et on n’aurait du mal à les citer tous) : le vaginisme, les MST, la pilule du lendemain, l’asexualité, l’orientation sexuelle, le consentement, la pansexualité… C’est le modèle de l’éducation sexuelle de demain. Celle qui se base sur l’écoute bienveillante et permet la discussion. Jean Milburn, la thérapeute sexuelle de la série, rappelle que ce dont les jeunes ont besoin ce sont simplement les 3 T : « Trust. Talking. Truth ». Pour prolonger l’impact de la série, Netflix a même sorti Le Petit Manuel d’éducation sexuelle, en collaboration avec la photographe et vidéaste belge Charlotte Abramow, disponible gratuitement en version digitale. Un manuel ludique et visuel, entre illustrations et photographies, avec « 64 pages pour parler de cul sans tabous et pour aborder les bases d’une sexualité plus épanouie… Plein d’infos que j’aurais personnellement adoré savoir dès mon adolescence ! » écrit Charlotte Abramow sur son compte Insta. « Le sexe, ça se découvre. Plus on communique, plus on apprend, et plus on kiffe ! ». On a pu échanger avec la photographe, interview à venir dans ce dossier.
https://www.instagram.com/p/CBScHxjglUR/
Hors écran, il existe de nombreux podcasts qui abordent d’une nouvelle manière le sexe et le plaisir, à l’image de l’excellent Quoi de Meuf de Nouvelles Écoutes ou encore Sex and Sounds sur Arte Radio, par la journaliste Maïa Mazaurette, spécialiste du sujet. Des rubriques spéciales fleurissent aussi sur les sites des médias, comme sur Madmoizelle ou Vice. Et même sur YouPorn, où l’on peut retrouver une catégorie « Instructional ». Et bien sûr, dans cette course à l’information, les comptes Instagram, eux aussi en libre accès sur internet, jouent un rôle fondamental dans le développement d’une « sexualité bienveillante, libre et inclusive », celle que revendique Charline du compte Orgasme et moi. Ils viennent combler les lacunes avec pédagogie. Aborder des sujets trop longtemps délaissés, comme Dora Moutot avec T’as joui? – cette question encore trop peu souvent posée aux femmes – ou Julia Pietri de Gang du Clito sur la masturbation féminine. Ces comptes, souvent tenus par des femmes, rencontrent un succès fou… 1,3million d’abonnés pour les illustrations érotiques de Petites Luxures, 650 000 pour Jemenbatsleclito. La preuve d’un besoin criant des hommes et des femmes d’autres paroles sur le sexe, d’autres d’images.
LA PAROLE SEXUELLE Libérée
L’intérêt de ces nouveaux comptes Instagram, c’est qu’ils ne donnent pas la parole uniquement à la personne en charge. Ils permettent à tous de participer, de poser des questions, de commenter, de s’exprimer. Et libèrent ainsi la parole sexuelle. Le compte Orgasme et moi est même presque entièrement dédié aux témoignages des uns et des autres. Les posts s’intitulent « la parole aux hommes », « la parole aux femmes » et « la parole aux non-binaires ». Un extrait :
En se confiant ainsi, certains vident leur sac, d’autres découvrent que le problème dont ils souffrent a un nom. Tous se soutiennent avec bienveillance. Et c’est là que se trouve la vraie révolution sexuelle de ces dernières années. Que l’on soit homo, hétéro ou transgenre, une fille, un garçon ou non-binaire, asexuel ou pansexuel, il existe maintenant un compte pour tous, où se sentir à l’aise, comme chez soi.
Au-delà de la parole féminine, largement libérée et décomplexée, les hommes aussi se font entendre. Car même si l’on évoque beaucoup plus facilement leur plaisir et leur masturbation, de nombreux clichés gravitent aussi autour de leur sexualité. Le compte Tu Bandes s’y attaque. Des hommes y racontent devoir faire face à de nombreuses pressions comme celle de la taille, de l’érection, mais aussi du soi-disant désir permanent des mecs ou encore du mythe du « vrai homme » : « Un homme est un homme même s’il a moins envie qu’une femme » affirme l’un des posts. C’est la #newmasculinity.
La libération de la parole sexuelle permet justement aussi de repenser notre vision du désir et du non désir. Il y a des garçons qui n’ont pas envie, et des filles qui ont envie tout le temps. Et c’est OK. Il faut en finir avec ces sondages sur la moyenne des rapports à avoir pour être un couple ‘normal’, cette pression à la baise. Et cette vision de la sexualité comme ciment du couple. Sur le compte Amours Solitaires, Morgane, la fondatrice, a récemment invité ses abonnés à lui confier leurs pensées sur le sujet en story et s’est fait ensuite leur porte-parole. Les réponses sont nombreuses et équivoques.
Si tous ces sujets sont enfin abordés sur les réseaux, c’est aussi grâce à l’explosion de l’illustration érotique. L’illustration, par son côté moins réaliste, est plus rarement censurée que la photo sur Instagram et offre donc aux artistes la possibilité d’en dire plus, et de poursuivre cette libération de la parole sur les réseaux, pédagogique et artistique. On a évoqué Petites Luxures et ses illustrations érotiques minimalistes, il y a aussi bien sûr Petite Bohème qui fait monter la température ou Tina Maria Elena, dont on vous parlait déjà sur Tafmag en 2018 avec ses aquarelles érotico-chic. L’illustration érotique a même désormais son rendez-vous annuel, le marché de l’illustration impertinente, organisé depuis deux ans au Hasard Ludique et qui, lors de sa première édition a accueilli plus de 4 000 visiteurs en deux jours. C’est une nouvelle forme d’art érotique, « pop et accessible » décrit Diane Micouleau sur Slate.
La sexualité, c’est l’acte, l’anatomie, mais aussi toute une culture. La Culture Cul. La culture a un joli p’tit cul faisions-nous déjà coudre sur la collection de t-shirts Tafmag en 2018 (il en reste quelques derniers exemplaires sur notre shop). Tout au long de ce mois de juillet nos artistes témoigneront de la manière dont ils abordent le sexe en 2020 dans leur art, entre éducation et libération, désir et poésie. Qu’ils soient illustrateurs ou photographes, tous sont des acteurs engagés de ce nouvel art érotique. On conclut sur ces mots de Jüne de Jouissance Club : « Ce n’est pas sale la sexualité, au contraire, c’est naturel. Tout le monde le fait même les oiseaux, mêmes tes parents ». Oh oui, parlons-en.
Retrouvez le dossier au complet sur nos artistes du dossier Culture Cul avec :
[2/6] Charlotte Abramow : « On ne baise pas photoshoppés »
[3/6] Tina Maria Elena et ses aquarelles érotico-chic
[4/6] Clothilde Matta : le cul, le désir, l’intime
[5/6] Calypso Redor, de la sexualite vanille au Shibari, une éducation
[6/6] Peter Kaaden, corps et culs nus au naturel