Calypso Redor[FRA]
- Illustration
Chronique
Calypso Redor : de la sexualité vanille au shibari, une éducation
“Sexuality is not dirty”, annonce la bio Insta de notre artiste du jour. Cinquième étape de notre périple cul, bienvenue dans l’univers de l’illustratrice érotique Calypso Redor. En 2020, deux types de contenus coexistent autour de la sexualité. Ceux qui posent les mots et amènent un peu de pédagogie et ceux qui, à travers des images, font découvrir des pratiques et ouvrent l’esprit en douceur. À la manière du travail tout en finesse, en courbes et noir et blanc de Calypso Redor. Démonstration du pouvoir de l’illustration érotique.
Dépasser la sexualité vanille
C’est par le biais de la femme et du corps, « des complexes et de l’acceptation de soi » que Calypso en est arrivée à dessiner la sexualité et le plaisir féminin. Des questions à ses yeux « hyper présentes dans la société, mais pas toujours bien amenées par des marques qui jouent surtout sur le côté trendy de ces thèmes, sans faire avancer les choses et changer les consciences ». Ce sont les « nouvelles sexologues d’Instagram » qui l’ont inspirée. Calypso a été portée par ce mouvement d’ampleur de libération de la parole, par tous ces comptes et par des campagnes comme celle de Julia Pietri, « It’s not a bretzel », sur la représentation du clitoris. Cette solidarité lui a donné la force d’aborder un « sujet par hyper facile à traiter ». « Quand tu dis à ta famille, à ta mère, que tu dessines des femmes qui font du shibari et que tu lui expliques ce que c’est, ça peut être un peu compliqué » s’amuse-t-elle.
Elle, comme l’artiste-photographe de notre dossier Clothilde Matta, n’a jamais eu de problème à exprimer sa sexualité avec ses amis. « Je n’ai pas trop de tabou et j’ai justement pas mal d’amis qui m’ont dit que je les aidais à en parler parce que je n’avais pas de filtre et que je parlais des choses facilement. Je mets à l’aise ». Pourtant, Calypso n’a pas eu la même éducation que Clothilde, loin de là. Dans sa famille, elle n’a connu que « la sexualité vanille », plus soft et plus basique. À l’école non plus, elle n’a pas été gâtée. Dans son établissement catholique, elle n’a jamais eu les fameux cours d’éducation sexuelle, désormais obligatoires trois fois par an depuis d’une loi de juillet 2001. Juste « un cours de SVT sur la reproduction, très scientifique » et un discours d’un prêtre en pleine église qui leur a expliqué que la pornographie, ce n’est pas la vraie vie. Du coup, Calypso a découvert sa sexualité assez tard. Et dans un même mouvement, en a fait son sujet artistique. « À un moment, j’ai eu un déclic et je me suis orientée vers ce qui me plaisait le plus. Et je me suis dit que c’était bête de ne pas l’avoir su avant et d’avoir perdu plusieurs années de plaisir maximum. » Avec ses illus, Calypso essaie que pour son public, ça aille plus vite. « Il faut être ouvert aux choses, ne pas penser qu’il y a une sexualité normale. Ça n’existe pas ». Elle invite à tester pour savoir ce qu’on aime, sans avoir peur du jugement, et à ne pas résumer le cul à une pénétration en missionnaire. À travers sa série de dessins sur le shibari (un art érotique japonais qui consiste à se ficeler et s’attacher avec toute une technique de nœuds et de cordes), par exemple, elle a contribué à révéler au grand jour cette pratique de bondage nippon et à éduquer. Comme sur ce marché de créateur, où elle n’a reçu que des retours ultra positifs et où elle a surtout expliqué cette pratique en détails, et a même été étonnée de voir certaines de ses amies lui acheter des images de cette série-là. « Jamais je n’aurais pensé qu’elles puissent se dire OK je vais mettre ça chez moi ». « J’ai fait découvrir le shibari et le BDSM à plein de personnes, en décortiquant ces affiches. Et ce qui est fou, c’est à quel point les gens ne connaissent pas ».
ILLUSTRATION, SOFT EDUCATION
« L’illustration est un vecteur de banalisation » pour Calypso. Et il faut absolument banaliser les choses pour qu’elles rentrent enfin dans la conscience collective et arrêtent d’être considérées comme « un peu étranges ». Et ça passe par l’art, notamment illustré. « Le dessin est un moyen d’éduquer de manière plus soft », explique-t-elle. Certains se braquent face aux textes crus des comptes Instagram plus pédagogiques, plus écrits. « Ceux qui ne sont pas intéressés par le sujet ne lisent pas et du coup ne vont pas être éduqués. Alors le dessin c’est une manière un peu plus discrète de faire passer le message. » Une méthode plus soft mais qui infuse profondément et touche finalement plus de monde. Et qui fait ses preuves. Calypso reçoit de nombreux commentaires encourageants sur les réseaux : « Ah c’est génial, je me retrouve dans cette illustration ». Ou encore, « là tu me donnes envie d’aimer mon corps ». Elle est d’ailleurs suivie par beaucoup de très jeunes qui ont la chance d’avoir accès directement à tout cet univers. « J’espère que cela permettra plus d’épanouissement et de prise de conscience plus jeune », confirme Calypso. Que les femmes, à l’image de Jüne Pla de Jouïssance Club et tant d’autres, n’attendent plus d’avoir 30 ans pour savoir enfin à quoi ressemble leur clitoris. Calypso aimerait aussi être encore plus inclusive et s’intéressera prochainement au sujet du transgenre. « C’est important d’en parler et de l’avoir aussi sous forme d’illustrations. Il y a des degrés de tabou, les règles en bas, puis la sexualité, et ensuite la question du transgenre. Il y a énormément de personne en mal être total et c’est un gros sujet à aborder ». Avant de le traiter, elle se renseignera et fera ses petites recherches pour continuer à apprendre elle aussi, toujours.
« Ma meilleure vente d’affiche, c’est celle d’une femme qui jouit »
L’illustration érotique, qui aborde la sexualité par des touches plus douces, sans le poids des mots, explose les compteurs sur Instagram. 340 000 abonnés pour Tina Maria Elena, 450 000 pour Frida Castelli et même 1,2 million pour Alpha Channeling et 1,3 pour Petites Luxures, on vous le disait. Et dans un même mouvement paradoxal, que l’on soulignait dans la première partie de notre dossier « La culture Cul », règne toujours une censure absurde sur les réseaux. Celle qui fait que le contenu de Calypso est catégorisé « contenus pornographiques ». Et qu’elle soit toujours victime du shadow ban. Ce processus conçu pour lutter contre les contenus homophobes ou pornographiques qui consistent à mettre des comptes dans l’ombre, sans prévenir, pour empêcher les utilisateurs de voir leurs publications, notamment à travers les hashtags. Impossible pour Calypso de faire de la publicité ou d’avoir la fonctionnalité shopping. Pour garder son compte, elle ne doit pas se faire remarquer. « Comme explication, je reçois des messages qui me disent que même les contenus à visée pédagogique ou artistique sont considérés comme pornographiques. Alors que mes dessins, ce sont des lignes ! » s’exclame la jeune femme. En effet, comme Clothilde Matta, mais avec son medium à elle, Calypso suggère, allège. Elle ne dessine que les contours des corps, privilégie le noir et blanc, minimalise, dans les traits comme dans le discours. « Ne pas avoir trop de détails ça dédramatise. Ma meilleure vente d’affiche, c’est celle d’une femme qui jouit. Je ne suis pas sûre que j’en aurais vendu autant si j’étais allée plus dans le concret ».
Calypso a mis du temps à se lancer sur la voie de l’illustration érotique. Elle raconte ne s’être pas toujours sentie légitime, avoir parfois ressenti ce fameux syndrome de l’imposteur. Elle avoue ne pas être incollable sur l’histoire du droit des femmes ou ne pas maîtriser toutes les techniques de l’illustration. Elle ne sait pas dessiner les mains nous avoue-t-elle. Mais encore une fois, justement, aujourd’hui c’est pile ce dont on a besoin. Pas des experts, mais des gens normaux, comme tout le monde, qui prennent la parole, parlent de leur pratique, nous rassurent, nous renseignent. Sans avoir forcément toutes les clefs eux non plus. L’important, c’est juste d’en parler librement, de plus en plus. On a besoin de « grandes sœurs » cool pour reprendre le terme de Charlotte Abramow. The Sisterhood du cul. Où se réuniraient Charlotte, Clothilde Matta, l’illustratrice érotique Tina Maria Elena, Calypso et tant d’autres…