Caroline Poggi & Jonathan Vinel[FRA]
Une banlieue déserte, un couple, un gang, un silence pesant... Les personnages évoluent dans un monde-bulle où les émotions sont plates, l’ennui évident et la mélancolie tenace. Des histoires cousues de détails inutiles entre réalités universelles et virtuel déréglé. Caroline Poggi et Jonathan Vinel font un cinéma qui n’a aucun précédent ; à la croisée des Bresson, Gus Van Sant et Richard Kelly. Après Tant qu’il nous reste des fusils à pompes (Ours d'or à la Berlinale), ils présentent en festivals Notre héritage. Un court métrage aussi puissant que perturbant. On l'a vu, on en parle.
Interview
Du suicide au gang : violences pacifiques
Caroline et Jonathan, respectivement 26 et 28 ans, se sont rencontrés sur les bancs de l’université Paris 7 et ont rapidement compris qu’ils partageaient les mêmes envies cinématographiques. Quand ils répondent à mes questions, leurs pensées sont presque connectées. Une évidence. Qui leur permet sûrement de proposer un cinéma alternatif appréciable. Pour Jonathan, leur univers est un « mélange entre le réalisme et le côté artificiel des simulateurs de vie. Du moins, une tentative. »
Leur première véritable collaboration donne naissance au court métrage Tant qu’il nous reste des fusils à pompe. L’histoire d’un jeune homme dont le meilleur ami vient de se suicider et qui décide de suivre la même voie. Mais pas avant de trouver une nouvelle famille pour son frère. C’est alors qu’il rencontre le gang des Iceberg. Une meute mystérieuse dont chaque membre est muni d’un fusil à pompe. Le chaos qui semble régner sur cette quête est contrebalancé par la douceur des sons et la tranquillité des personnages. Une histoire qui a tous les attributs de la violence sans en provoquer l’impression.
Du porno au cinéma pour écouter les mots
Même ambiance pour Notre Héritage aujourd’hui en festivals, qui est le projet de fin d’année de la Fémis de Jonathan. Ici, Lucas est amoureux d’Anais. Il l’invite pour la première fois chez lui. Ils jouent au chevalier, s’embrassent et font l’amour tout en récitant en voix off leurs pensées intimes. Peu après, Lucas découvre que son père est Pierre Woodman, réalisateur de film porno. Le romantisme naïf et enfantin du garçon est alors confronté aux extraits de vidéos pornographiques. Si ici il y a évocation de deux extrêmes, il n’y a pas forcément opposition. : « On ne voulait pas juger le porno, on voulait dire que ça existe et montrer comment tu fais pour grandir avec », souligne Jonathan. Et Caroline d’ajouter : « Les filles des extraits porno sont vues avec un regard très doux. Si il y a opposition dans la réalité, elle n’est pas perçue par le personnage. »
Et si l’histoire est importante pour le duo, c’est avant tout un état de sensations, un ensemble de perceptions qu’ils essaient de transmettre. Caroline explique : « Les dialogues, les rues vides, les cocons que l’on créé autour d’eux participent à la création d’un univers étrange. Ça décale la réalité pour permettre à une autre, dérangeante, d’exister. » Les personnages récitent lentement des dialogues peu réalistes, comme de la poésie. « Dans notre monde ça sonne bizarrement » précise Jonathan, « c’est pour laisser le temps au spectateur d’écouter les mots. »
Le mal du siècle, notre héritage
Ce cinéma là n’est pas expérimental par le procédé mais par la démarche. Le jeune couple tentent d’inventer un nouveau rapport au monde, aux relations sociales ou amoureuses, aux lieux ou au temps. Ils testent, arrangent à leur manière une vie sur écran qui peut être vue comme l’antithèse du cinéma contemporain fait d’une surenchère de bruits, de dialogues, de rythmes effrénés ou de bandes-sons entêtantes.
Par les thèmes abordés – l’amour, la mort, la mélancolie, le chaos, l’existentialisme -, Caroline et Jonathan adhèrent au courant romantique du 19ème siècle. Cette génération qui inventa le concept de « mal du siècle », de génération sacrifiée ; en proie aux émotions et loin de la raison. Notre héritage.