Célia Bruneau[FRA]

  • Art & Peinture

Interview

Le 20.06.2023 par Julie Le Minor

Sous la verrière de Célia Bruneau

On a discuté mode, cinéma contemporain et bout du monde avec l’artiste brodeuse dans son loft montmartrois.
Paris au mois de juin, la canicule avant l’heure. Montmartre. En grimpant la rue des Martyrs puis la rue Houdon, on se dit que la bohème qui y a élu domicile à l’orée du XXe siècle devait aimer ses rues pentues, sa foule animée et ses dédales de pavé pour atteindre le sommet de la butte. Rue des Abbesses. Brusquement, nous quittons le brouhaha des touristes et leur glaces dégoulinantes dignes d’une image de Martin Parr pour traverser une cour aussi silencieuse que colorée, comme la capitale en a le secret. Après quelques marches – les dernières – nous voici chez Célia Bruneau, artiste brodeuse, dont la longue chevelure couleur jais contraste ce jour-là avec sa tenue immaculée aux inspirations nippones. On en viendrait presque à oublier le lieu où l’on se trouve.

Portrait de l'artiste Célia Bruneau habillé en beige et bleu clair sur son canapé beige sous sa verrière à montmartre

Un atelier d’artiste typiquement parisien, spacieux et baigné de lumière, grâce à une immense verrière qui surplombe la capitale. Dans cet espace qui a su résister au temps, Célia nous accueille, sourire aux lèvres, une carafe d’eau à proximité. Un clafoutis, non loin. Ici, tout est beau, soigné et décoré avec goût. « Avec Louis, mon compagnon, qui est également artiste, on cherchait un lieu où vivre et créer en même temps. Cet appartement a été un véritable coup de cœur. Pour l’obtenir, on a écrit à la propriétaire, elle-même fille de photographe, qui a été séduite par l’idée de faire revivre cet atelier. Depuis, c’est ici que l’on passe le plus clair de notre temps. On a vraiment fusionné nos univers et nos quotidiens. On a les mêmes horaires, la même manière de travailler ». Mais si Louis peint des portraits, Célia brode des tableaux. Des paysages des confins du monde, des volcans, des forêts, mais aussi des abstractions.

« J’ai repris la broderie à 100% et je ne me suis plus jamais arrêtée »

Pour comprendre le parcours atypique de Célia, il faut dérouler le fil. « J’ai toujours voulu faire quelque chose de créatif ou d’artistique, quelque chose avec mes dix doigts », confie-t-elle d’une voix douce et posée. « Moi, c’était la mode, les vêtements, la couture. Yves Saint Laurent » Le bac, option histoire de l’art, en poche, Célia entre aux ateliers Chardon Savard à Paris. Trois années de formation qui nourrissent sa créativité mais au fond d’elle, la jeune femme sait que cette voie ne sera pas pour elle. Le vêtement ne sera pas sa vocation mais elle en gardera le goût du toucher, de la broderie et du fil. Comme la bohème, Célia expérimente, tâtonne, se cherche. Elle enchaine les boulots et à ses heures perdues, elle brode. « D’abord des vêtements vintage – des tee-shirts et chemises – puis je suis passée aux toiles ». Puis en 2019, c’est le déclic. Elle rencontre Louis, « qui vit de son art, ne met pas de réveil et n’a pas de contraintes », explique-telle en riant. Une révélation. « Il m’a permis de m’accepter et d’assumer cette vie à plein temps. J’ai repris la broderie à 100% et je ne me suis plus jamais arrêtée ».

Intérieur de Célia Bruneau artiste brodeuse où une de ses broderies trône adosser au canapé beige

Depuis, Célia brode entre quatre et six heures par jour, sans exception. Des toiles aux inspirations diverses mais où l’on retrouve toujours ses paysages à la frontière du réel et de l’onirique, ses couleurs douces et brumeuses où l’on passe d’un été indien aux monts du pays du soleil levant. Mesure et volupté, cela pourrait être le credo de cette jeune artiste à la silhouette d’une muse. Au fil des années, Célia trouve sa patte, dessine et brode au gré de ses humeurs et pérégrinations. Comme un éternel voyage créatif qui laisse la part belle à la spontanéité, à la rencontre et à l’imagination. « Ses influences, nous dit-elle, sont variées ». En vrac : Rothko, Georgia O’keefe, Picasso. On lira aussi qu’elle aime David Hockney et Nicolas de Staël. « Je me nourris constamment d’images. Plus jeune, j’étais très influencée par la photographie, notamment les portraits de Haraki. Aujourd’hui, j’ai toujours mille dossiers sur Pinterest et Insta où se croisent une myriade de références. Des shootings de mode, couleurs, détails et matières qui nourrissent quotidiennement mon imaginaire. Parfois, j’aime aussi écouter de vieilles interviews d’artistes pour m’inspirer ».

« J’avoue, j’ai un livre de Mona Chollet qui m’attends encore, mais promis je vais m’y plonger »

Dans cet atelier entre ciel et terre, on s’imagine sans mal dessiner au son de la voix d’Yves Klein ou Niki de Saint Phalle. On s’entend parler art avec Gertrude Stein, on se voit boire un coup – ou deux – avec Hemingway et on se dit que Paris est encore une fête, des décennies plus tard. Quand on évoque ses goûts artistiques et littéraires, Célia opte en effet plutôt pour le passé. Les classiques. « Je ne suis pas très bonne en littérature contemporaine : j’aime les romans, la poésie. Je suis toujours en quête de classiques. En ce moment, je lis les auteurs russes, Tchekhov. J’avoue, j’ai un livre de Mona Chollet qui m’attends encore, mais promis je vais m’y plonger ». Question cinéma, c’est radical. Adieu les sagas de science-fiction, Dune ou Star Wars. Adieu, les blockbusters, la violence, l’apocalypse et le trop-plein d’action. « Déjà la bande-annonce, ça coince », grimace-t-elle, un sourire en coin. « Dernièrement, on refait la filmographie de Guitry, j’adore. Et Mubi, bien-sûr ». Encore des classiques. Les réalisateurs et acteurs contemporains, n’en parlons pas. Après cette interview, on lui promet qu’on va lui faire aimer quelques oeuvres récentes.

Appartement atelier de Célia Bruneau ou ses broderies sont disposées un peu partout

Pour l’heure, Célia regarde d’un oeil les tableaux qui trônent au loin devant la bibliothèque et confesse : « Parfois, tu n’as plus d’inspiration, tu trouves que tout est moche. Tu doutes de tout. Il y a beaucoup de choses que je n’aime pas dans mon travail, mais il faut se forcer à aller au-delà. Le travail, c’est la clef. La création est un long processus qu’il faut accepter de mener jusqu’au bout. Il faut du temps pour s’accepter en tant qu’artiste et encore aujourd’hui, j’ai du mal à me définir comme tel ». Pourtant la jeune femme n’a plus à faire ses preuves. Ses oeuvres sont représentés par une galerie à Madrid et elles séduisent un public toujours plus large. Parfois des compositions originales, ou bien des commandes. « On m’envoie une image, on me raconte une histoire, un souvenir puis je crée une toile à partir de ces récits. Dernièrement, un couple m’a commandé une broderie d’un hôtel aux volets rouge avec en fond la Sainte Victoire, où il se sont connus. Je voyage aussi à travers les souvenirs des gens », confie-t-elle, en souriant.

Se nourrir, s’inspirer, créer de nouveaux dialogues artistiques

Mais ses voyages à elle l’emmènent au bout du monde. Après avoir déambulé en Europe et en Méditerranée, en Italie et en Grèce – les iles grecques et éoliennes surtout – Célia s’apprête à faire un tour du monde avec son compagnon. Quinze mois, une myriade de pays, de frontières à dépasser et de destinations dont les seuls nom font rêver : l’Inde – une première – la Malaisie, la Thaïlande, le Cambodge, le Laos, la Chine. Puis, Taïwain et le Japon. Enfin, l’Australie, la Nouvelle Zélande et l’Amérique du Sud. « Mais je veux continuer de travailler en même temps. J’ai même déjà pensé à un système pour envoyer mes broderies à mes parents afin qu’ils les encadrent, car je fais tout à la main ». Se nourrir, s’inspirer, créer de nouveaux dialogues artistiques, Célia rêve d’ailleurs et d’abstraction. En attendant, le couple a prévu de passer l’été à Paris pour faire des économies. À voir le soleil qui s’estompe doucement à travers la verrière, dévoilant une nouvelle facette de la ville lumière, on se dit que l’été ici doit être aussi doux, rêveur et coloré que les oeuvres de Célia. Le clocher de l’Église Saint Jean sonne à côté. Il ne reste plus qu’à leur souhaiter un bel été entre ces murs. Puis, l’aventure, l’étonnement et la création. La bohème, pour sûr, se vit aussi loin de la butte Montmartre.

Placard vintage de Célia Bruneau Broderies de Célia Bruneau posées devant sa bibliothèque blanche Célia Bruneau pendant l'interview avec Tafmag pots contenant les crayons de couleurs et pinceaux de Célia Bruneau posé sur une table en bois à côté d'une broderie Les fils de Célia Bruneau posé chez elle avec un rayon de soleil Portrait de l'artiste brodeuse Célia Bruneau chez elle Vue sur les toits de Paris depuis la verrière de Célia Bruneau Intérieur épuré de Célia Bruneau

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