Camille Cottier[FRA]
- Art & Peinture
Interview
Dans l’atelier de Camille Cottier
En quelques années, Camille Cottier et ses « bonshommes » ont su se frayer un chemin remarqué sur la scène créative parisienne. Tafmag s’est rendu à La Fabrique à Ivry-sur-Seine où l’artiste a installé son atelier.
Cela fait maintenant près de dix ans que Camille a peint ses premiers bonhommes, une phratrie* de personnages singuliers, étranges, parfois loufoques qui se dévoilent aujourd’hui sous une identité plus nette et plus affirmée après de multiples métamorphoses. En retraçant l’évolution esthétique de ces amis imaginaires, mi-anges mi-démon, peints à même la toile, c’est l’histoire de Camille qui se déroule sous nos yeux. Depuis son départ des Beaux-Arts d’Angers, la peintre de 32 ans en a fait son leitmotiv artistique, « une obsession » même, précise-t-elle, amusée. Comme Picasso et ses fameuses « périodes » qui ont marqué son évolution picturale, les bonshommes de Camille ont pris plusieurs formes et ont été créés à travers différents médiums : la photographie, la peinture, la vidéo et même la performance comme cette-fois où elle s’enroule dans du cellophane qu’elle déchire ensuite, comme une seconde peau.
« C’est comme une famille imaginaire qui m’a aussi permis de m’interroger sur plein de sujets différents »
« J’ai toujours travaillé sur la transformation du visage, du corps et de l’identité », confie l’artiste alors qu’elle nous reçoit par une douce après-midi d’automne dans son atelier à Ivry. « À un moment, mes personnages étaient très allongés, d’autre fois, ils se confondaient dans un motif et on peinait à les voir puis ils ont pris une forme plus abstraite, puis colorée aussi. Finalement, ce sont le reflet de mes états d’âme et émotions quand je les peins. Tout ce processus est très instinctif et naturel ». Depuis, les bonshommes sont devenus une sorte de tribu, une phratrie sentimentale qui ne quitte jamais Camille. « C’est comme une famille imaginaire qui m’a aussi permis de m’interroger sur plein de sujets différents. Qui sont-ils ? Sont-ils mon simple reflet ou celui de notre société ? Comment interagissent-ils ensemble ? Quels messages expriment-ils ? ».
Rien ne prédestinait pourtant Camille à suivre la voie de ses bonshommes. La jeune femme a grandi à la campagne vers Rambouillet. « Mes parents étaient dans les chevaux, mon père est champion d’équitation. Je faisais de la compétition tous les week-ends. Un jour, au collège, je me suis dit que je ne voulais pas avoir cette vie. Je n’étais pas assez passionnée. J’ai dit à mes parents que je voulais arrêter et ils m’ont immédiatement soutenus. On a vendu mes chevaux et j’ai changé de direction. Je me suis spécialisée en arts appliqués, j’ai touché à tout : au design, à l’architecture, à la peinture puis j’ai fait les Beaux Arts d’Angers. Mais j’ai vraiment réalisé que je voulais faire ce métier lors de mon premier stage avec un artiste. J’y suis allé au culot, j’admirais son œuvre et il a accepté que je le suive. Avant cette expérience, cela restait flou, j’avais besoin d’appréhender le métier afin de décider si je voulais vraiment suivre cette voie ».
« Quand tu crées, tu es seule »
Tous les jours, Camille se retrouve dans son atelier dans le hub créatif de La Fabrique, entourée de ces visages fidèles aux yeux mi-clos et mélancoliques. « Avant, j’étais à Saint Ouen, c’est vraiment galère de trouver un atelier dans Paris. On m’a parlé de ce lieu et j’ai tout de suite accroché ». L’artiste aime le retrait et la confidentialité du lieu. « Quand tu crées, tu es seule. Il ne faut pas avoir peur de la solitude. Je n’aurais jamais pu bosser dans une boîte. Je profite pleinement de ces moments de création ici, c’est un peu mon refuge. Mais j’apprécie d’autant plus retrouver le contact des gens lors d’une exposition, que ce soit avec ma galeriste, le public ou des collectionneurs ». Pour autant, Camille confie en riant : « Même si à chaque fois que je présente une expo, j’ai toujours envie de prendre un Lexomil ».
Pourtant, après 3 solos shows, Camille a l’habitude. « Je me souviens des premiers, c’était une torture de devoir vendre mon travail à des inconnus. J’avais l’impression de me mettre à poil à chaque fois. Puis il fallait parler d’argent, tout cela me déstabilisait beaucoup, puis avec le temps, j’ai appris à gérer cette partie de mon métier, et aujourd’hui j’ai la chance d’être accompagnée par ma galeriste depuis 4 ans ». Dans son atelier comme sur Instagram, le monde singulier de Camille accroche le regard et ne laisse pas insensible. Quand on lui demande si elle est amoureuse devant un tableau de corps qui s’enlacent, Camille confirme « Oui. J’en ai peint aussi avant, mais c’était une relation plus complexe et mes personnages étaient plus durs, plus seuls. Oui, tout est lié finalement ».
phase de production
Depuis cette bulle aux abords de Paris, Camille construit son propre monde qu’elle présente ensuite aux yeux de tous sur Instagram. « C’est comme une galerie virtuelle, les réseaux sociaux sont primordiaux aujourd’hui pour créer une identité artistique, une notoriété ». Aujourd’hui, l’artiste est en pleine phase de production après avoir présenté son dernier solo show en juin. « J’ai besoin de prendre du recul sur mon boulot pour décider quelle direction j’ai envie de prendre ». Ses bonshommes semblent en tout cas toujours là puisqu’à l’heure où l’on rencontre Camille, celle-ci revient de la campagne avec une série monochrome d’un rouge éclatant où ses fameux personnages nous font face sur des toiles XXL, nous défiant presque du regard, comme un étrange cas de conscience entre l’artiste et ses sujets, mais aussi entre ses bonshommes et nous.
En attendant de présenter son prochain solo show, Camille participe à une vente Christie’s le 9 novembre prochain où elle présente une œuvre sous forme de miroir aux côtés d’artistes de renommée internationale. Son rêve pour cette année ? « Le Japon ! Je pars là-bas trois semaines à Noël, je pense que cela aura forcément un impact sur mes œuvres ».
*Phratrie : définit un groupe de clans en sociologie.