Bastien Lattanzio[FRA]
- Photographie & Cinéma
Interview
Dans le canapé de Bastien Lattanzio
On a discuté de l’avenir de la photographie et de la mode avec Bastien Lattanzio dont le flash instinctif et l’imagerie brute nous font voyager des côtes de la Riviera aux paysages reculés du Mexique, de Pantelleria à Puerto Escondido.
C’est dans la discrète et trendy rue des Vinaigriers que Bastien nous reçoit chez lui, avec Bahia, dans un appartement décoré avec soin. Ici point d’opulence, ni d’extravagance mais des tons bruts, du mobilier vintage, quelques céramiques et souvenirs du bout du monde. Aux murs, des tirages et quelques reproductions d’artistes contemporains. Une véritable harmonie règne dans la pièce où un feu de cheminée crépite. C’est dans ce havre de paix en plein cœur de l’agitation du 10e arrondissement de Paris que le photographe passe une partie de son temps lorsqu’il n’est pas en shooting ou en escapade sur les côtés de la Méditerranée, son véritable point d’ancrage. « Le 10e arrondissement a toujours été mon quartier préféré. J’y ai mes habitudes, de l’hôtel Grand Amour au café Early June qui est tenu par des potes. Quand j’ai découvert cet appartement rue des Vinaigriers, je savais que l’emplacement était parfait ».
Oser (un peu), bosser beaucoup
Arrivé au début des années 2000 dans la capitale, ce kid originaire d’Annecy s’est vite fait un nom sur la scène parisienne. « Oser, c’est l’un des secrets de la pérennité de ce métier », confie-il. Oser (un peu), bosser beaucoup, être à l’heure et ne pas trop se prendre au sérieux. Mais dans un métier d’image, rien n’est moins facile. « Je suis toujours reconnaissant lorsque l’on m’appelle pour un nouveau projet. Je dis souvent oui, d’ailleurs. Un créateur émergent peut devenir un grand nom de demain ». Au fil des ans, le photographe prend le pli et impose sa vision brute, naturelle et souvent contemplative dans les papiers glacés des magazines à l’instar de Self-Service où il rencontre Ezra Petronio dont il admire « la boulimie de vie et de création permanente ». Il multiplie les éditos et se spécialise naturellement dans la mode, collaborant avec des pointures du milieu comme Supreme, Louis Vuitton ou Opening Ceremony, tout en poursuivant ses natures mortes pour des galeries d’art ou des marques de décoration, sans oublier ses clichés lointains pour Air France Magazine ou AD.
Car quand Bastien ne travaille pas sur un projet commercial, il s’envole vers le ciel azuréen et les terres gorgées de soleil de la mer Méditerranée. Ce tropisme sudiste et ensoleillé lui vient certainement de ses racines italiennes. Mais aux vacances romaines dans la Cité éternelle, Bastien connaîtra plutôt celles en Corse ou en Sardaigne où il se rend très jeune avec sa famille. « Depuis, j’ai tout testé. Ibiza, Majorque, Capri, les îles éoliennes… C’est là où je me sens le mieux ». C’est dans cet imaginaire tout droit sorti de l’imagerie godardienne, du rocher de la Villa Malaparte à Capri dans Le Mépris aux routes sinueuses et arides de Pierrot le fou, que Bastien puise son inspiration. Mais ici, l’autobianchi Primula rouge d’Anna Karina et Jean-Paul Belmondo devient une Fiat500, une Méhari bleu ou un bon vieux 4×4 anglais. De ces errances méditerranéennes, Bastien revient avec deux livres : Riviera, une rétrospective des lieux où il s’est rendu ces dix dernières années, puis Pantelleria, sa terre d’adoption, qu’il consacre à l’emblématique île volcanique située entre les côtes tunisiennes et la Sicile. Dans ce bouillonnement de vie et de culture, il capture tout : ses habitants, ses paysages aux roches noires et ses Negroni au bord de la plage.
« Du jour au lendemain, j’ai commencé à tout photographier »
Il faut dire que depuis ses 18 ans, Bastien n’a plus jamais lâché son appareil. « J’étais en terminale et je pense que je ne savais pas trop ce que je voulais faire dans la vie. Ma mère – qui est psy, précise-t-il en souriant – m’a alors conseillé de ressortir mon Minolta jaune que j’utilisais plus jeune. Du jour au lendemain, j’ai commencé à tout photographier. Je partais en escapade un jour, puis deux, puis cinq et finalement, je ne me suis plus arrêté ». Depuis, l’univers de la mode et de la photographie ont quelque peu changé. L’ère des réseaux sociaux et son flux continu d’images ont modifié les règles du jeu. « J’aime beaucoup les magazines, mais je ne vais pas mentir, je fais des images pour qu’elles soient vues. Instagram permet d’accéder à une audience élargie en un temps record. Je trouve ça très intéressant aussi ». Pour autant, le photographe pose un regard assez critique, presque nostalgique, sur l’évolution de la mode avec le digital. « Dans les années 2000 et 2010, la mode était ultra-créative, vraiment intéressante. Les images étaient superbes et elles avaient du sens. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la mode a été rattrapée par son objectif de vendre à tout prix, comme si elle avait été dénaturée de sa fonction esthétique et narrative ».
Moins d’images, mais mieux, cela pourrait être le credo de cet esthète. Dans une société inondée de publicités et de produits, où prime le culte du plaisir et de l’ego au dédain des jours à venir, Bastien cultive la philosophie contemporaine du less is more. Aujourd’hui, c’est dans la ville de Puerto Escondido, sur la côte d’Oaxaca, qu’il est allé se ressourcer pour shooter et concevoir son prochain livre éponyme, également auto-édité, et bientôt disponible à l’achat. En regardant la maquette ultra-léchée de ce nouvel objet aux couleurs vives, on se dit que l’été arrive et que nous aussi, on prendrait bien le large.