Juliet Casella[FRA]
- Art & Peinture
Juliet Casella oscille entre l'optimisme et la désillusion. Pour cette grande gamine pleine d'amour, la violence de la vie est comme un coup de poing dans la figure. Loin de se laisser abattre, elle découpe, superpose et reconstruit la réalité. À travers ses collages plastiques et vidéo, Juliet fragmente le monde pour en souligner les absurdités, sans jamais perdre sa capacité à s'émerveiller.
Interview
Il s’en est passées des années depuis notre dernière rencontre. Les films sont arrivés dans l’œuvre de Juliet Casella qui s’est mise à réaliser en marge de ses collages. Des clips notamment pour Feu! Chatterton ou Miel de Montagne mais aussi des longs. Puis finalement, Juliet y est revenue, aux collages. Avec la volonté désormais de les animer : “Après avoir bosser 8 ans sur des images fixes et être passée par la réal, c’était une suite logique que de me lancer dans les collages en mouvement”, justifie-t-elle en fumant, à travers le combiné, par lequel je découvre une belle voix, aussi douce que puissante.
8 mars 2020
C’est du reste par ce médium animé que Juliet a voulu rendre hommage à une poignée de femmes prises en exemple en ce jour pour un salut universel. Parce qu’en ce 8 mars 2020, journée des Droits de la Femme Juliet a voulu rendre hommage à toutes les femmes dans leur ensemble, dans la multitude, dans leur complexité. Elle a sélectionné des profils de femmes qui l’inspirent, œuvrant dans plusieurs milieux différents, bien que quasi tous reliés à l’art et la création : photographe, actrice, activiste, peintre, écrivaine, musicienne… “Plein de nanas bien cool autour de moi qui méritaient d’être célébrées”. Juliet montre des muses qui l’inspirent, qui ont réussi et veut ainsi encourager d’autres femme à se lancer dans tous les combats qu’elles désirent mener. “Je veux montrer qu’on est beaucoup plus fortes que ce que l’on peut dire, même si au fond, on le sait, et que malgré les bâtons que l’on peut nous mettre dans les roues, on va tout défoncer », résume Juliet, enjouée. Aujourd’hui, il semblait bien venu de faire part aux femmes de cette admiration sans faille, en prenant dans un premier temps exemple sur Assa Traoré, l’activiste inébranlable qui enquête sur la mort de son frère, Ylva Falk, la danseuse chevronnée, le couple d’artistes homoparental Soko et Stella, les artistes Ramen Polanski et Julia Tarissan, Morgane Ortin, auteure des Amours Solitaires, Maud Chalard, la photographe des femmes, les actrices Marguerite Thiam et Klara Kristin, la chanteuse Joanna ou encore la mannequin Dustin Muchuvitz. Des femmes qu’on ne peut enfermer dans un genre unique car elles sont comme nous toutes, bien plus que ce qu’elles font.
Muses et collages
Juliet ne parvient pas à expliquer comment elle réalise ses collages. C’est spontané, quasi inné. Alors bien sûr, ils positionnent la “muse” dans un décor qui évoque sa personnalité, son histoire. Les photos de chaque femmes ont été prises, bien souvent, par d’autres artistes, Victoria Lafaurie, Katherina Acevedo, Lunaa Harst, Théo Gosselin, Louise Carrasoco… Le son contribue beaucoup à donner le ton ; on visionne les GIFS presque comme des mini-films. On y entend les voix de ces femmes ou un choix de musique ; on décèle leur histoire, leur tempérament, leur force et leur conviction. Un bel hommage que celui de montrer, grâce à une sélection non-exhaustive de profils, que les femmes sont emplie d’ardeur et de détermination, de certitude et de conviction, qu’elles vivent depuis toujours avec consistance et générosité et que si le futur sera certainement fait de débats acharnés il fera preuve également d’espoirs embrasés.
Assa Traoré, activiste
Dustin Muchuvitz, musicienne
Joanna, musicienne
Julia Tarissan, artiste
Klara Kristin, actrice, mannequin et chanteuse
Marguerite Thiam, actrice
Maud Chalard, photographe
Morgane Ortin, écrivaine, auteure de « Amours Solitaires »
Ramen Polanski, artiste
Soko & Stella, musicienne et photographe
Ylva Falk, danseuse
— L’INTERVIEW CI-DESSOUS A ÉTÉ PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS LE 22 MAI 2017 —
Une douce guerrière
Difficile de louper Juliet Casella perchée sur son vélo dans les rues de Belleville. Sa longue silhouette blanche se détache sur les devantures colorées de la rue Sainte-Marthe. Enfouie dans sa polaire immaculée, le regard doux, elle semble vivre dans un monde cotonneux. Son sourire franc dévoile une personnalité entière, qui n’a pas peur d’aller au devant des autres pour démonter les idées reçues. « Dans mon travail, ma matière première, ce sont les gens » avoue-t-elle. Les particularités des individus et la complexité des êtres sont des puits d’inspiration sans fin. Mais ce qui la frappe d’autant plus est la violence du jugement et le rejet de l’autre, symptômes de notre société malade. « Je veux mettre la lumière sur des gens que certains auraient tendance à dévaloriser » confie Juliet. Dans son documentaire Flower, elle a passé deux semaines à suivre un personnage haut en couleurs dans tout Paris, simplement parce que ses amis le considéraient comme un clochard sans intérêt.
Ce côté justicier, Juliet le tire peut-être des caractères passionnels de sa famille italienne. Elevée dans un petit village du sud de la France, elle a passé une enfance merveilleuse, éloignée des problèmes de la vie, à découper des images dans les magazines. En grandissant, sa boulimie visuelle s’est accentuée avec Internet mais son regard sur le monde s’est modifié. « Petit à petit, je me suis rendue compte que le monde n’était pas tel que je le croyais. J’ai trouvé ça super violent. Et après les attentats, j’ai compris que je ne pouvais pas seulement faire de l’art pour l’art, mais que je devais m’engager ».
Un art qui panse
C’est justement ce moment où « tout part en couilles » qu’elle travaille avec la thématique de l’enfance. Pour elle, l’innocence des enfants cache une violence sourde et invisible. Doués d’une intelligence vive, d’une sensibilité honnête et d’un regard sans filtre, les enfants sont trop souvent ignorés ou déconsidérés. Pourtant, c’est justement lors de cette étape délicate de la vie que se forge la personnalité du futur adulte qui participera, ou non, à la décadence du monde. « Tu vois, quand je pense au kamikaze qui fait un attentat suicide dans une salle de concert, je me demande surtout ce qui a bien pu lui arriver dans son enfance pour qu’il ait une telle haine de soi ». Dans ses collages, Juliet nous place au cœur d’un univers bourré d’antagonismes : une peau de lait se barre de blessures, des paysages urbains recouvrent des paysages naturels, des meubles jouxtent des animaux, des enfants se superposent à des migrants dérivant sur un bateau gonflable…
Fashion as a playground
Pourtant, Juliet Casella ne porte pas toujours la casquette d’artiste engagée. Approchée par des magazines et des marques comme Stylist ou Louis Vuitton, elle voit la mode comme un terrain pour créer sans autre visée que le plaisir esthétique. « Mais la mode, je m’en fous. Pour moi c’est juste une histoire de thunes » lance-t-elle. Juliet ne mâche pas ses mots et pour cause, on lui a souvent dit qu’elle était une artiste vendue. Malgré elle, la mode lui ressemble car elle permet de désintellectualiser l’art.
Le doute créateur
Issue d’un milieu simple, où l’on dit les choses directement et avec le cœur, Juliet a horreur des gens qui étalent leur culture, remplacent le sensible par l’intellect et culpabilisent ceux qui préfèrent laisser place au ressenti. Elle-même s’est sentie coupable de ne pas être « assez cultivée » et si aujourd’hui elle l’assume et considère qu’elle n’a jamais eu de barrières, la blessure est encore fraîche. « Je suis très sociable car j’aime les gens, mais je suis aussi très timide avec mon travail. Je n’aime pas du tout l’exposer. Le fait de voir des personnes faire face à mes œuvres, ça m’angoisse ».
Une angoisse qui ne freine pas pour autant son bouillonnement créatif. La tête toujours pleine d’idées, intéressée par tous les supports, Juliet est frustrée par les contraintes de l’espace-temps. « J’aimerais être trois personnes : une pour sortir et faire la fête, une pour s’occuper des trucs relous et une pour faire de l’art complètement perché » dit-elle en riant . Récemment exposée à Tokyo, elle a commencé à intégrer le son à ses créations avec sa vidéo Sarah. « Après avoir travaillé les yeux des gens, je veux travailler leurs oreilles, leur montrer qu’il faut faire attention aux phrases ». Avec son double spirituel Julia Tarissan, elle poursuit sur le terrain de la réalisation. Mi-juin, le binôme sortira deux clips de rap, un avec l’anglais Crave Moore et l’autre avec le japonais Kazuma Arayama. Elle ralentira le rythme en octobre pour partir en Amérique latine, où elle compte écrire un long-métrage qui lui tient à cœur depuis longtemps. Le sujet ? L’histoire… d’un petit garçon ! Qui l’eût cru.
Photo de couverture © Julie Oona