Julie Curtiss[FRA]

  • Art & Peinture

Julie Curtiss a la maîtrise du paradoxe. L’union des opposés est un talent inné chez cette artiste au visage poupon et au regard incisif. Julie fait surgir le trouble et le malaise là où certains cherchent le familier. Ses oeuvres, oscillant entre le réel et le monstrueux, nous emmènent dans un univers dérangeant où l’humour est Roi.

Interview

Le 04.04.2017 par Diane Micouleau

From Brooklyn to Paris

Le ciel parisien affiche sa grisaille habituelle, les touristes déambulent dans les rues étroites du Marais. Julie Curtiss, dessins sous le bras, Doc Martens aux pieds et sourire aux lèvres, semble être dans son élément. Pourtant, « Je suis complètement paumée ici » me dit-elle.

Cela fait sept ans que Julie a quitté Paris pour s’installer à Brooklyn et elle s’est si bien assimilée à son pays d’accueil qu’on pourrait presque lui trouver un petit accent anglophone. Le bar La Perle où elle a choisi de me rencontrer, était le QG de sa bande d’amis durant ses années Beaux-Arts. Une expérience qui marquera son amour ambivalent pour la France et les Etats-Unis : « Les Beaux-Arts de Paris laissent aux étudiants une très grande liberté, alors qu’aux Etats-Unis ils ont tendance à trop t’encadrer. Mais, ce qui m’a frustrée à Paris, c’était qu’il n’y avait pas de dialogue entre les disciplines. »

Gems and dough, 2015. Gouache paper, 12″x9″

 

Un amour de la peinture à la française

Fille unique d’un père vietnamien et d’une mère française, c’est dans la solitude qu’elle a commencé à dessiner. Soutenue par ses parents, elle est tombée amoureuse de la peinture traditionnelle française en passant son enfance au Musée d’Orsay : « J’aime bien faire appel à la peinture traditionnelle car elle fait partie de l’inconscient collectif et les gens se sentent rassurés par elle. Mais je la détourne avec de la bizarrerie, du surréel et ça déstabilise. En fait, j’aime déranger celui qui regarde mon oeuvre, je ne veux pas le laisser dans sa zone de confort. »

 

The test, 2016. Gouache on paper, 12″x16″

 

Des morceaux de femmes

Si Julie travaille son art par périodes, sa patte se retrouve d’une série à l’autre, mettant sans cesse en avant l’organique et l’élasticité des formes. Les aliments prennent des traits d’humains, tandis que les humains ne sont plus que des torsades de cheveux. Les morceaux de corps de femmes sont entortillés, déformés. La fumée envahit l’espace des tableaux tel un fluide sinueux. Tous ces éléments s’unissent dans une danse ondulatoire qui invoque l’absurde et l’incongru.

Julie Curtiss compose ses oeuvres à l’aide de figures simplifiées et de couleurs plaisantes qui attirent l’oeil au premier abord, puis laissent place à une fascination teintée de malaise et d’ironie. L’artiste sait exactement comment nous situer dans l’humour grotesque. « J’adore me faire rire avec mon travail » explique-t-elle. Mais c’est un rire acide, affûté, qui n’hésite pas à flirter avec la critique.

Pour son exposition solo en octobre prochain, Julie a réalisé une série de peintures de dindes fumantes composées de cheveux. Une façon de se moquer des Etats-Unis ? « Je ne me définis pas comme une artiste engagée, mais je parle de ce qu’il se passe autour de moi. Aux Etats-Unis, avec Trump et son « Make America Great Again », je vois surtout un retour de l’archétype de la femme au foyer qui cuisine pour son mari… J’ai aussi une fascination pour les longs ongles vernis des Américaines. Moi, ça me fait surtout penser à des griffes et c’est ce qui me plaît : le paradoxe entre le superficiel et l’animal. »

At the pedicure, 2015. Gouache on paper, 12″x9″

 

Jusqu’à la sculpture de cheveux tressés

Malgré une renommée grandissante, Julie travaille à mi-temps pour assurer ses finances: « Mais ça reste plus confortable qu’à Paris. La communauté artistique est très resserrée à New York. Il y a beaucoup d’entraide, de choses à découvrir, et de gens à rencontrer. » Pas étonnant donc que les prochaines expositions de Julie se trouvent en territoire américain. Une fois qu’elle aura ralenti le rythme de ses peintures, peut-être qu’elle pourra se consacrer aux autres médiums qui l’attirent, comme ces surprenants chapeaux tressés en cheveux synthétiques qu’elle réalise dans son coin depuis un petit moment.

Photo © Julie Oona

 

 

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