Dans l’atelier de Lia Rochas-Pàris[FRA]
- Art & Peinture
Interview
Dans l’atelier de Lia Rochas Pàris
C’est entre les tours du 13e arrondissement que Lia Rochas-Pàris nous accueille dans son atelier parisien pour une discussion matinale où s’entrecollent images surréalistes, bribes de souvenirs et influences japonaises.
La vie d’artiste
La vie d’artiste, c’est un peu le motto de Lia Rochas Pàris. Née d’un père artiste plasticien et d’une mère danseuse contemporaine, Lia est en quelque sorte tombée dans la marmite étant petite. Ce jour-là, elle nous accueille dans son appartement-atelier rue Marcel Duchamp. On ne pouvait pas l’inventer. C’est dans ce loft au charme presque désuet et empreint de lyrisme que l’artiste pluridisciplinaire vit avec sa fille de dix ans et sa mère qui occupe l’appartement du dessus. Vous l’aurez compris, chez les Rochas-Pàris, l’art est histoire de transmission. “C’était l’atelier de mon père. Après son décès, je l’ai repris”, confie-t-elle devant une tasse de thé fumante. “Cela a été tout un processus pour m’y sentir légitime. Déjà, en tant que femme artiste, ce n’est pas évident mais en tant que fille, c’est tout aussi compliqué. J’ai essayé de trouver ma place, je me suis approprié l’espace, ses œuvres se sont mêlées aux miennes. J’y entrepose aussi les ouvrages qu’il m’a laissés. Ce lieu est un véritable héritage culturel.”
Tout est collage
Les pères, ce n’est jamais une mince affaire. Celui de Lia aura été une sorte de pygmalion pour la jeune étudiante en histoire de l’art et en philosophie qui rêve au fond d’elle de suivre ses traces. “Mon père était artiste et professeur aux beaux-arts. J’ai beaucoup étudié afin de pouvoir avoir des conversations avec lui, de faire le poids. C’est lui qui m’a dissuadé de suivre un parcours classique pour devenir artiste. Je suis donc allée davantage vers la théorie.” Des bancs de la Sorbonne aux toiles surréalistes, des dîners de ses parents entourés d’artistes aux cafés parisiens, Lia se nourrit de tout, s’essaye à tout. Elle lit, écrit, colle, peint. Après deux masters de recherche, le premier consacré à la figure du double dans l’œuvre cinématographique de Cocteau, le second dédié aux notions de mémoire et d’archivage à travers l’usage de la capture d’écran, la jeune artiste trouve son véritable dada. Pour elle, tout est fragment, tout est souvenir, “tout est collage”.
« Tu découpes, tu colles et tu reconstruis quelque chose »
“Le collage est un médium mais c’est aussi une métaphore de nous”, confie ainsi Lia. “Cela reflète notre manière de fonctionner, de réfléchir, de composer. Ce qu’on montre et ce qu’on cache, cette idée de recto et de verso.” Derrière cette pratique artistique dont l’origine remonte aux toiles cubistes de Pablo Picasso dans les années 1910 puis à l’œuvre sur papier collé de Georges Braque se cache aussi une volonté de préserver le vécu, un devoir de mémoire qui débute pour Lia par un drame. Alors qu’elle n’a que 17 ans, la jeune femme est en cours à Paris lorsqu’elle reçoit un appel pour lui dire de rentrer chez elle immédiatement. Un incendie s’est déclaré dans ce même appartement où l’on se trouve aujourd’hui. Elle est seule à Paris, non sans ironie du sort, ses parents inaugurent une fontaine au Portugal. La jeune fille se précipite chez elle avec une seule obsession : sauver tout ce qu’elle pourra. À commencer par les chats et les albums photos. “Heureusement, il n’y avait pas d’œuvres de mon père mais ses écrits sont partis en fumée.” Plus de peur que de mal, mais pour Lia, le contre-coup est énorme. “J’ai commencé à me cloîtrer et à ne plus sortir. À l’époque, une étudiante de mon père des Beaux-Arts squattait la maison. Elle n’en pouvait plus de me voir dans cet état léthargique et elle m’a dit : ‘tiens prends toutes les revues qu’il y a aux toilettes et tu découpes, tu colles et tu reconstruis quelque chose’. C’est comme ça que tout a vraiment commencé.”
Découper ses souvenirs et ses états d’âme
Des pages de Elle à Vogue, sans oublier Géo Magazine, elle découpe des corps, des paysages, des matières pour créer son propre monde. Des fragments de fiction et de réel mis bout à bout à travers lesquels Lia invente son propre langage. “Je dirais que l’assemblage est plutôt instinctif, comme si j’essayais de trouver une harmonie dans des choses qui à priori n’en ont pas. Quelque chose de visuellement libre. Il y a aussi cette quête de l’espace, je suis obsédée par l’assemblage et la conception.” Lia s’intéresse notamment au concept japonais du “ma” – un terme qui signifie intervalle, espace, durée, distance – soit l’idée d’espace vide et d’espace plein. Avec les ciseaux de son père, la prolongation de sa main, Lia alterne une découpe presque chirurgicale à des pages qu’elle arrache sans ménagement. Comme une thérapie couchée sur le papier, Lia découpe ses souvenirs et états d’âme. Dans son œuvre se décèle ainsi certains leitmotivs : la fragmentation des corps, la minéralité, la déchirure.
“Mon père m’a toujours dit: LA seule chose que l’on ne pourra jamais nous voler, c’est ce qu’on lit, ce qu’on sait, ce qu’on apprend »
Artiste pluridisciplinaire, le collage n’est pourtant pas son seul talent. Avec son projet Shelves, elle expose des objets d’inspiration et des œuvres d’artistes sur une étagère de son atelier, questionnant ainsi l’espace d’exposition et l’intimité que chacun entretient avec les objets de son quotidien. Avec Parties Prises – clin d’œil à Georges Perec et Francis Ponge – elle imagine un laboratoire d’idées, un studio de création et une plateforme curatoriale comme une maison d’édition orientée vers le processus créatif. Dans Comme un Roman-Photo, elle crée des conversations sous forme de romans-photos où elle se met en scène avec des personnalités qui l’inspirent. “Il y a toujours cette approche de composition avec, encore une fois, une forme de collage. Le processus créatif est comme un puzzle dont chaque pièce tient une place essentielle.” À travers son art, Lia garde une trace, ausculte sa mémoire, entretient ses souvenirs comme un ultime trésor. “Mon père m’a toujours dit que la seule chose que l’on ne pourra jamais nous voler, c’est ce qu’on lit, ce qu’on sait, ce qu’on apprend. Donc tout ce qui a trait à la culture finalement.”
Le trésor du temps et du « ma »
Aujourd’hui, Lia ne ressent plus la pression de son héritage. “Je crois qu’avant, j’étais davantage dans la performance, à essayer de trouver une régularité dans ma pratique, être proactive. Mais j’ai appris avec le temps à apprécier ces moments de latence et d’ennui qui sont parfois tout aussi efficaces selon moi. C’est dans ces moments-là que tout se met en place inconsciemment.” On ne peut pas s’empêcher de percevoir l’héritage surréaliste dans la pratique de Lia, cette approche ludique, sensible et spontanée de l’art. Lorsqu’elle nous confie se lever très tôt, on l’imagine seule dans les sursauts de l’aube, dans cet appartement si riche en histoire, à découper patiemment des pages de livres et de magazines comme des bribes de son histoire, des fragments de vie. “J’aime la nuit et le matin. J’aime me réveiller quand il fait nuit.” Le jour et la nuit, le recto et le verso, le vide et le plein. Le “ma” encore une fois.
Photos © Marie Lévi