Marina Dorgan[FRA]
- Art & Peinture
Interview
DANS L’ATELIER ESTIVAL DE MARINA DORGAN
Sous le soleil
Le quartier du Raval a ce caractère qui suscite en nous des sentiments ambivalents à l’égard de Barcelone. Il a le charme de ces ruelles presque médiévales et son agitation qui peut faire fuir les âmes à la recherche de calme. Toutefois, les habitants du quartier ont trouvé le secret pour échapper à ce tumulte : prendre de la hauteur. C’est ainsi que la peintresse Marina Dorgan a trouvé refuge dans la ville catalane, il y a bientôt 10 ans. Dans son atelier-attico, surplombant le quartier dynamique, elle nous transporte dans son histoire à travers ses tableaux baignés de soleil.
En ouvrant la porte, un chat au pelage noir intense, suivi de Marina, nous accueillent chaleureusement. Il s’agit de Toulouse, le deuxième habitant de la maison. Les deux hôtes nous guident vers l’étage, où se trouve l’atelier et l’incroyable terrasse offrant une rare vue sur les toits de Barcelone. Le léger accent chantant de la jeune artiste et le prénom de la mascotte éveillent notre curiosité. « Je viens du Sud-Ouest, d’une petite ville proche de Toulouse », confie-t-elle. Quel vent l’a donc poussé jusqu’à Barcelone ? Alors que le soleil est à son zénith, elle nous raconte son histoire.
Barcelone, une ville cosmopolite
Marina a toujours été créative et c’est vers les arts appliqués qu’elle envisage son avenir. « Mais à seize ans je manquais d’un profil de référence pour me pousser vraiment vers l’art ». La jeune artiste se tourne alors vers le marketing, sans pour autant oublier sa passion. « Je suis venue à Barcelone pour terminer mon master. Et bien sûr au fil de ces mois, la ville m’a totalement attrapé » nous raconte-t-elle. Si certains sont charmés par l’architecture atypique de la ville, Marina, elle, est attirée par ses habitants venus de tout horizon et par son aspect cosmopolite. « J’ai rencontré des personnes si différentes avec des profils créatifs qui m’ont fait comprendre qu’une voie artistique était possible », explique-t-elle. Designers, illustrateurs, graphistes, dans ce bouillonnement artistique, la jeune toulousaine trouve enfin les modèles dans lesquels s’identifier pour bifurquer dans cet univers.
C’est dans le design graphique qu’elle se tourne d’abord. Mais son amour pour la peinture la rattrape rapidement. « Je peignais beaucoup plus jeune. En étant à Barcelone, je vivais avec deux illustrateurs. Il y avait des peintures, des dessins sur papier un peu partout dans l’appartement. J’ai tout de suite voulu en refaire ». Nous sommes alors au début de l’année 2020, et le premier confinement pointe le bout de son nez. Pour la jeune créative, c’est le moment de s’y dédier pleinement. « Ici, la vie est dehors. On passe peu de temps chez soi et cela m’a éloigné du dessin et de la peinture. Le confinement m’a permis de me recentrer sur cette activité. J’y passais des heures, des journées entières. Je ne voyais plus le temps passer ».
S’inspirer de l’été
C’est le moment pour elle de développer son style de peinture. Comme Mica Lucas inspirée par les lumières de la ville, et dans une ville aussi solaire que Barcelone, les couleurs adoptées par la peintresse ne pouvaient être qu’étincelantes. Des paysages aux natures mortes à l’atmosphère estivale, Marina s’intéresse progressivement à la figure féminine. Ou plutôt aux corps féminins qu’elle dépeint à l’acrylique, jouant sur la transparence et la superposition de couleurs. Ce sont des fragments de dos, de jambes, d’épaules qu’elle croque avec cette atmosphère de souvenirs d’été qui la représente tant. Une familiarité se dégage de ses toiles. Mais comment ? car les visages de ces femmes n’apparaîssent jamais. Un geste intime et pudique qui permet à toutes de s’identifier à chacun de ces corps.
« Vous l’aurez compris, j’aime l’été, le soleil, être à moitié nue »
Mais pour Marina ces toiles vont bien au-delà d’une simple esthétique. À travers ses œuvres, elle interroge les normes sociales et les stéréotypes que peut subir le corps féminin. « J’ai voulu ouvrir un débat sur la nudité féminine en essayant de le banaliser ». La silhouette féminine est ici dessinée avec un autre regard. Le sien, plein de douceur et de bienveillance. Le corps n’est jamais entièrement nu. Il est simplement vêtu d’un maillot de bain ou d’un bikini qui, avant d’être un élément sexualisé, est le symbole de l’émancipation et de la liberté des femmes.
Créer sans contrainte
La liberté, voilà un terme qui semble guider Marina depuis son arrivée à Barcelone. Aussi bien dans sa manière de peindre que dans son parcours artistique. Car si la peinture est son moyen d’expression de prédilection, la peintresse se penche déjà sur des médiums artistiques inattendus, allant de l’imprimé textile à la linogravure. Mais le corps de la femme sera-t-il à nouveau au cœur de ses créations ? « Je ne suis pas sûre. En ce moment, je m’intéresse beaucoup aux intérieurs, aux maisons. Cet hiver, je me suis plongée dans les archives des catalogues Ikea qui m’inspirent pour peindre des espaces rêvés » se confie-t-elle. Sur ces mots, elle nous emmène dans son atelier où quelques peintures et esquisses sont encore présentes. Des corps qui se lézardent au soleil, des intérieurs chaleureux, des natures mortes à l’aura catalane. Impossible de ne pas se remémorer un doux souvenir d’été.
« Vous l’aurez compris, j’aime l’été, le soleil, être à moitié nue » conclue-t-elle le sourire aux lèvres. Il n’est donc pas étonnant que sa prochaine exposition à Paris soit centrée sur le surf et la plage ! De quoi anticiper les beaux jours que Barcelone voit déjà poindre.