Elsa Meunier[FRA]
- Art & Peinture
Interview
Dans les yeux d’Elsa
C’est entre l’emblématique rue de Seine et les quais de Paris, que Elsa Meunier nous ouvre les portes dans l’espace éphémère où se tiendra alors dans quelques heures l’exposition qu’elle co-présente avec Mathilde Le Coz. Un face à face entre le peintre allemand Jörg Kratz et le gallois Dylan Williams, deux artistes émergents qui exposent pour la première fois dans la capitale sous le regard brillant et bienveillant d’Elsa. Et pour la première fois, Coup d’été présente sur ses pages web le coup d’oeil d’une curatrice.
Des yeux et du caractère
Depuis dix ans, cette passionnée d’art aiguise son regard d’esthète à travers une quête infinie de talent et de beauté. Chantre de l’art contemporain, fascinée par les œuvres du XXe siècle et de l’entre-deux guerres, Elsa nourrit son inspiration continuellement. Dans les pages des magazines de mode, dans les toiles de Bonnard ou dans les fresques littéraires des romancières britanniques Zadie Smith ou Deborah Levy. Oscillant entre peinture figurative, son premier amour, et abstrait, Elsa se fie à son goût et à une approche instinctive, spontanée et personnelle qui sont ses marques de fabrique. “J’ai besoin d’aimer pleinement un artiste pour le mettre en lumière”, souligne ainsi la jeune femme de vingt-neuf ans aux yeux et à la chevelure de jais.
Car derrière sa voix douce et ses belles manières, Elsa a du caractère. Depuis dix ans qu’elle poursuit sa vocation, elle a appris à suivre sa sensibilité artistique et à affirmer ses choix. “Lorsque je vois une œuvre, cela doit être évident.” De ce fil conducteur très singulier se dévoile une curation originale et pointue, comme un tableau de la scène émergente internationale, qui a su séduire un public hétéroclite et multi-générationnel. Sa page Instagram “Dans les yeux d’Elsa” lancée durant le confinement en 2020 la révèle au regard d’initiés désireux de s’extirper d’un quotidien morne et de poursuivre leur éveil artistique. Dans cette galerie idéale imaginée comme un laboratoire, Elsa expérimente et dévoile ses coups de cœur, tout en proposant des interviews de jeunes artistes. Un dialogue virtuel qui se poursuit finalement dans de véritables galeries à travers des expositions que la jeune curatrice orchestre sans jamais rien laisser au hasard.
L’art, “un parcours semé d’obstacles“
Pour Elsa, “l’art est une passion d’une vie” qu’elle savoure au quotidien, non sans sacrifice. “C’est un parcours semé d’obstacles, il faut être résilient, beaucoup d’amis ont changé de voie. Mais je ne quitterai jamais l’art, c’est mon quotidien. Il n’y a pas une journée qui n’y soit pas consacrée.” Diplômée de la Sorbonne à Paris, Elsa réalise d’abord un Master de recherche en photographie du 20e siècle. Des années studieuses et heureuses dans le charme immuable de la Rive Gauche et du 6e arrondissement de Paris où se trouve l’établissement. De la bibliothèque, où elle passe des heures, aux musées de la ville – Orsay en particulier – Elsa s’initie à l’histoire de l’art et pose les jalons de son éducation. “C’est un apprentissage impressionnant qui s’étend de l’Antiquité à l’art contemporain. On commence par des choses très classiques, le XIXe, XXe, la Renaissance, puis on étudie d’autres disciplines, comme la mode ou l’architecture.” Une période dont elle se souvient avec joie, presque avec nostalgie, lorsqu’elle repense à ce voyage à New York où le MOMA lui ouvre les portes de son cabinet de photographie dans le cadre de ses recherches.
Offrir un lieu d’exposition serein et prospère
Puis, son chemin la mène au Musée d’Orsay dont elle parcourt déjà, enfant, les allées avec sa mère, institutrice, qui l’éveille aux toiles des impressionnistes. Manet, Courbet, Renoir… Cette fois pourtant, elle assiste Leïla Jarbouai, la Conservatrice en chef de ce lieu illustre. Mais après un début de parcours académique au sein des grandes institutions parisiennes, Elsa décide de démarrer un autre chapitre. Grâce au succès de sa page Instagram, elle voit l’opportunité de parler d’art autrement en élargissant son cercle. Son nouveau dada : la jeune garde artistique sur laquelle elle pose un regard enthousiaste et plein d’espoir. “Je vois ce métier comme une collaboration mutuelle fondée sur la confiance : les jeunes artistes nous confient leur talent, nous délèguent leur image et nous permettent d’entrer leurs univers. En retour, nous leur offrons un lieu d’exposition et de croissance dans un cadre serein et prospère tout en s’assurant de préserver leur manière de créer et leur plaisir. C’est aussi ça mon rôle : protéger les jeunes artistes de la pression du marché.”
Partout, la scène artistique émergente est en pleine émulation et on s’intéresse de près à ces talents qui éclosent des bords de la Seine à ceux de la Tamise. Comme chez Coup d’été, institutions, musées, centres d’art, galeries, tous ont les yeux rivés sur ces jeunes artistes aux œuvres protéiformes dont le digital a permis de les faire connaître plus rapidement. Elsa l’a bien compris, l’art contemporain, aujourd’hui plus que jamais, est sans frontière. D’Instagram au réel, d’Anvers à Bruxelles, en passant par New York et Londres, son lieu de prédilection, le regard d’Elsa vagabonde de galerie en musée à la recherche des étoiles de demain. “J’essaye de me rendre à Londres tous les deux mois. J’adore la programmation institutionnelle : la National Portrait Gallery, la Tate Modern ou la Tate Britain. On se sent si bien à l’intérieur ! Mais c’est aussi une ville essentielle sur le marché où je repère de nombreux talents émergents”. De l’art figuratif et abstrait de Nicolas Gaume, pour lequel elle organise deux expositions, aux portraits et espaces singuliers de Johan Larnouhet dont Coup d’été vous avait parlé dans une de ses éditions papier, sans oublier les toiles figuratives et les natures mortes de Flora Temnouche, Elsa poursuit son périple artistique avec pour seule boussole l’instinct et la promesse d’un futur pluriel et prometteur.