Cléa Delogu[FRA]
- Art & Peinture
Interview
Cléa Delogu, de Lara Croft à Lala Touffe
Imaginez un monde de couleurs vibrantes, un univers doux et soyeux où des natures mortes prendraient vie grâce à l’imaginaire pop et ludique de son créateur. Maintenant, imaginez que ce démiurge est une sorte de Lara Croft en total-look noir et Crocs dont l’arme secrète n’est autre qu’un gun. Oui, un gun. Un tufting gun. Bienvenue dans le monde merveilleux de Cléa Delogu, alias Lala Touffe. Créative aux multiples talents, cette ancienne directrice artistique dans la publicité est aujourd’hui passée maître dans l’art du tufting, une technique de tissage encore marginale en France mais qui cartonne sur Internet, notamment sur Youtube et Tiktok.
Lara Croft en total-look noir et Crocs
Quand on la rencontre ce jour-là dans son appartement du 19e arrondissement, Cléa nous accueille avec une énergie communicative qui laisse entrevoir une personnalité joyeuse et débordante. Cléa fait partie de ces créatifs dont l’esprit fuse à mille à l’heure, nourri par de multiples influences, du cinéma à l’architecture, du design à la mode. “Surtout le design et la mode”, reprend-elle en souriant. Née “dans la petite ville de La Baule, 15 000 habitants l’année, 150 000 l’été”, Cléa a toujours aimé créer, inventer, bricoler. Une philosophie DIY qu’elle tient certainement de sa mère, confie-t-elle. Son premier amour ? Le film d’animation. Ses études l’amènent d’abord à Lyon où elle suit une école d’infographie 3D. Pixar, surtout. Wall-E, Ratatouille et tutti quanti. “Très vite, j’ai compris que ce n’était pas pour moi et que je ne pourrais malheureusement pas réaliser un Pixar toute seule. C’est un travail très segmenté, on passe des années à réaliser une micro-séquence.” Mais déjà, Cléa développe le sens de la lumière, de la composition et des lignes. Le souci du détail, également. Peu à peu, son regard se fait et sa sensibilité s’affine.
Des logiciels 3D au travail à la main, il n’y a qu’un pas. Passionnée par l’image, Cléa entre dans l’univers merveilleux de la publicité et s’imagine déjà dans 99 francs. “Yolo”, comme elle dit. La jeune femme n’a peur de rien et suis son instinct, guidée par une véritable soif d’apprendre et une curiosité sans faille. Elle travaille pour Lancôme, le luxe, les cosmétiques, les égéries, les parfums. Mais encore une fois, la réalité ne correspond pas à ses attentes. “J’y ai appris la rigueur. J’ai toujours aimé ranger, ordonner, organiser. Que tout soit carré. Je suis perfectionniste et mes années en marketing et en direction artistique m’ont poussé à tout contrôler.” De campagne en campagne, la jeune femme se crée un imaginaire ponctué de références plurielles et s’inspire autant de la pop culture que de la mode. “Aujourd’hui, je continue à mettre en scène des images, mais avec de la laine cette fois.” Pour Cléa, de la publicité au tufting, il n’y a vraiment qu’un pas.
Tutos, Tufting & Tiktok
Si vous scrollez sur TikTok, vous avez certainement vu passer des tutos pour apprendre cette technique DIY qui consiste à concevoir des tapis ou des pièces en laine à l’aide d’un pistolet et qui comptabilise plus de 3,4 milliards de vues sur le réseau social. Pour Cléa, tout commence en 2020 sur Youtube quand elle tombe sur une vidéo d’une tufteuse devant un tapis géant qui pique son intérêt. Elle se met alors en quête de comprendre le processus créatif de cette nouvelle technique de lainage quand son mec lui parle pour la première fois de “tufting”. Une technique professionnelle qui se démocratise de plus en plus à l’ère d’internet. Cléa s’emballe. Quelque temps plus tard, son premier tapis trône dans le salon. “Puis, j’ai eu envie de créer d’autres pièces et j’ai commencé à dessiner sur des toiles des choses plus détaillées, moins abstraites.”
Au gré de ses expérimentations, Cléa apprend à jouer sur les couleurs, les volumes et les matières. Passionnée par le courant italien Memphis fondé dans les années 80 en Italie et reconnu pour son style extravagant, géométrique et ultra graphique, elle imagine un univers aux teintes vibrantes ou pastel. “Selon ses humeurs”, explique-t-elle. Des toiles vivantes et hédonistes : orange, rose, rouge, jaune. D’autres, plus nostalgiques. Plus sombres aussi, bleu, marron, beige. Surtout elle trouve son blaze : Lala Touffe. “C’est naïf, enfantin, farfelu et fun, cela me correspond bien ». Comme un nom de personnage de dessin animé, son premier amour. Depuis, Cléa crée ses toiles chaque jour dans son atelier, une petite pièce lumineuse, annexée au salon de son appartement où les bibelots et meubles designs chinés avec son compagnon flirtent avec ses œuvres. “Parfois je déborde un peu dans le salon », nous explique-t-elle devant la toile XXL qu’elle est en train de confectionner. « Je suis maniaque donc je range tout après avoir travaillé. Le tufting est une pratique exigeante, il faut être patient et résilient. Cela fait aussi beaucoup de bruit, mes voisins m’adorent.” confesse-elle en riant. Pour créer, la musique est essentielle. “Je mets mon casque et j’écoute Glenn Gould à fond et là, ça y va. Tic tic tic. Le bruit du pistolet donne le tempo de mes créations. Parfois, j’écoute de la techno, c’est intense. D’autre moment, je suis plus calme.”
Le tufting est une pratique exigeante, il faut être patient et résilient. Cela fait aussi beaucoup de bruit, mes voisins m’adorent.
À la croisée de l’artisanat et de l’art, Cléa poursuit ses expérimentations au gré de ses dessins et de ses toiles. Au fil des ans, elle a tissé un univers singulier où chaque œuvre s’infuse d’une sensibilité pop, graphique et ludique qui lui est propre. Son quotidien est rythmé par ses heures de tufting, mais aussi les shootings qu’elle réalise elle-même et des nuits entières à monter ses vidéos et à retoucher ses photos. “J’aime travailler la nuit, je peux m’égarer. Je peux passer des heures sur Youtube ou Pinterest à regarder des shootings de mode, des tutos, des œuvres. » Pour la suite, Cléa continue de suivre son instinct. Volatile, curieuse et multi-casquette, elle incarne finalement cette nouvelle génération de créatifs tout terrain qui ne laisse rien au hasard. Quand on lui demande ce qu’on peut lui souhaiter pour la suite, elle répond en souriant, “Une collaboration avec une grande maison de mode peut-être. Mes deux passions. Hermès, cela serait un rêve.” L’idée est lancée. À bon entendeur.