Romain Rigal[FRA]
- Photographie & Cinéma
Interview
« En 2050, quelles seront les photos mythiques des années 2020 ? »
Depuis vingt-ans, pas un seul jour n’est passé sans que Romain Rigal ne lâche son appareil photo. Il se confie aujourd’hui à Tafmag sur sa carrière, sa vision du portrait et sur l’époque dans laquelle nous vivons. Rencontre sous le soleil du mois de Mai.
Hello Romain, merci de clôturer ce chapitre de Mai consacré au renouveau de la grande saison. Tout d’abord, comment vas-tu ?
Salut Julie ! Merci de m’avoir proposé cette interview ! Tout va bien, à l’heure où je te parle, je profite des premiers rayons de soleil en terrasse avec cette température estivale. Le début d’année s’est bien déroulé, j’ai eu la chance de participer à de beaux projets. J’en espère autant pour la suite.
Que t’inspire cette période de l’année, les jours qui rallongent, les nuits qui s’agitent et la nature qui s’éveille en même temps que le monde ?
Le mois de mai est mon mois préféré, je pense. C’est une période de transition où tout semble plus détendu. Les jours sont plus longs, le temps est bon, les bras et les épaules se dénudent. On peut shooter le soir car les lumières sont belles et douces. (Dommage qu’il y ait trop de pollen !)
Tes photos témoignent d’une certaine liberté, une affirmation de soi, voire même parfois d’une certaine impertinence. Ce sont des leitmotivs qui t’inspirent ?
Je ne cherche surtout pas à être impertinent, provocant ou choquant, tous ces sentiments sont liés à de l’égocentrisme selon moi et je ne cherche pas particulièrement à ce que mon travail soit associé à quelque chose de provocant. J’aurai plutôt tendance à parler d’un sentiment de liberté, de légèreté, de relâchement… Comme une délivrance, finalement. Quand je fais un portrait, je suis toujours à la recherche de ce fameux « lâcher prise » chez mon modèle. Le regard des autres est tellement puissant qu’il est très difficile pour la plupart d’entre nous de trouver le vrai abandon. Pourtant, c’est très libérateur.
À quel moment as-tu décidé de devenir photographe et portraitiste ?
C’était une vocation, en même temps, j’avais très peu d’opportunités qui s’offraient à moi. Très jeune, j’ai compris que je n’étais pas fait pour un cursus classique, j’ai donc tout misé sur ma passion ! Cela fait maintenant 20 ans que je fais de la photo tous les jours, je ne regrette pas mon choix. C’était la bonne décision. Dans ma famille et dans mon entourage, personne n’évolue dans ce milieu. Même si j’étais bien entouré, j’ai appris à créer mes propres opportunités seul dans un univers qui m’était inconnu.
Pourquoi avoir choisi le portrait spécifiquement ?
Le portrait m’a toujours inspiré. Je passais beaucoup de temps à regarder les magazines de musique, les CDs, les livres photos de mon père ou les pubs de mode. J’emmagasinais beaucoup de portraits dans ma tête et dès que j’ai eu un appareil photo, je me suis lancé dans ce registre. Je fais peu de paysages ou de compositions.
Tu photographies des acteurs, des mannequins, des chanteurs qui ont tous en commun une certaine manière d’être face à l’objectif, une faculté, comme au cinéma, de « crever l’écran ». Comment trouves-tu l’inspiration pour réaliser tes portraits ?
Je puise mon inspiration dans le cinéma, dans l’ambiance d’une scène, le jeu des acteurs… Un film comme Moonlight de Barry Jenkins est magnifique au niveau des lumières, de l’univers, de l’histoire. Les acteurs sont très photogéniques. Un autre film, totalement différent, The Revenant de Alejandro Iñárritu, est incroyable. L’ambiance qui s’y dégage juste à travers les images, le rythme, la musique, tout est parfait. J’aime aussi la peinture d’Edward Hopper, Raphaël ou Caravaggio… On est si proche de la photo, le sens du détail, c’est incroyable !
Et dans la photographie ?
Evidemment ! Guy Bourdin, Annie Leibovitz, Peter Lindbergh, Nan Goldin, Steven Klein, Mert & Marcus, David Lachapelle… Mes inspirations sont assez variées mais j’ai l’impression qu’elles ont toutes un point commun, elles sont “soignées” dans la finition, dans le détail.
Je crois que la musique est aussi une composante importante de ton processus créatif…
Je travaille tout le temps en musique : lorsque je shoote, quand je retouche… Ça m’est nécessaire pour créer une ambiance. L’éventail des chansons que j’écoute est très large : Radiohead, Beirut, TravIs Scott, Anna Leone, Pop Smoke, London Grammar…
Comment décrirais-tu le style de tes photos ?
Je dirais naturel, détaillé, granuleux, proche, intime, profond – ce n’est pas facile de décrire ses propres photos. Peut-être intemporel et mélancolique, également. C’est difficile pour moi de parler de mon travail. Mais le meilleur retour que je peux avoir c’est lorsque l’on me dit : « J’ai reconnu que c’était toi ».
Qu’est-ce qu’un bon portrait selon toi ?
Un bon portrait, c’est celui qui interpelle. Celui qui te procure quelque chose. Lorsque tu le regardes, tu peux t’imaginer une scène. Si tu arrives à faire ressentir une émotion, c’est que ton portrait est réussi. Evidemment la lumière et le modèle apportent beaucoup à la photo mais même si tu as Al Pacino face à toi avec 4 assistants qui gèrent 20 lumières, si tu n’arrives pas à amener la personne avec toi, le résultat est plat, lisse, surfait. C’est raté, selon moi.
As-tu une photo préférée ?
Je ne sais pas si c’est vraiment ma photo préférée, mais c’est celle à laquelle je suis le plus attaché. C’était un shoot avec le chanteur Ben Harper. J’étais plus jeune, c’était mon premier shoot avec un artiste international, j’avais un peu la pression. C’était lors d’une journée promo à Paris, les journalistes ont 15 minutes d’interview et le photographe qui l’accompagne, 5 minutes max. On était la dernière équipe de la journée et juste avant le shoot, on s’est retrouvé bloqués dans l’ascenseur de l’hôtel avec lui. Pourtant le mec a été super gentil avec moi. Il a fait sortir tout le monde de sa chambre et m’a laissé faire mes photos pendant 20 minutes. Il s’est retrouvé torse nu, il sautait sur le canapé, il a joué le jeu à fond !
Es-tu plutôt un artiste nomade ou sédentaire ?
J’ai toujours vécu à Paris et en banlieue parisienne, donc je ne suis pas vraiment nomade. Je n’ai pas d’attache de lieu particulier : il ne me faut pas de distractions, c’est pour cela que j’aime beaucoup travailler la nuit chez moi. Tu n’es pas attiré par autre chose, c’est plus simple de se concentrer, c’est calme, il n’y a pas de lumières, tout se ralentit, enfin. Mais partout où je vais, je fais des photos, je regarde tout le temps autour de moi, s’il n’y a pas un paysage ou une situation à prendre en photo avec un modèle.
Es-tu plutôt solitaire ou aimes-tu la bande, la foule ?
Solitaire, sans hésiter ! Je suis plutôt introverti mais paradoxalement j’adore prendre les gens en photo, échanger avec eux ! L’appareil photo facilite sans doute l’approche. Quand cela est possible, je fais en sorte de shooter sans équipe, travailler seul me correspond plus. L’atmosphère du shoot est très importante, j’aime être seul avec la personne que je prends en photo.
Comment vois-tu l’époque dans laquelle nous vivons ?
J’ai 36 ans, j’ai grandi sans téléphone, sans ordinateur, sans réseaux sociaux, juste avec mes potes en bas de chez moi et des magazines. Donc forcément, j’avais plus le temps d’analyser une photo en 1997 qu’un ado d’aujourd’hui. Quand j’avais un magazine, je prenais le temps de bien regarder les portraits qui accompagnaient les articles, je tournais le magazine pour lire le nom du photographe écrit en tout petit. Mais si j’avais 15 ans aujourd’hui, évidemment, je serai accroché à mon téléphone. Internet te permet d’accéder à tellement de connaissances et les réseaux sociaux sont des accélérateurs pour créer des connexions avec les gens. Quand je vois mon fils de 7 ans qui se sert de mon téléphone presque mieux que moi, c’est quasi inné… Mais je fais en sorte qu’il prenne le temps d’écouter des cds, qu’il s’asseye pour regarder des livres de peinture, de photos et que tout ne soit pas fait via un écran. C’est important de développer ses autres sens.
Y a-t-il une époque qui t’inspire plus que d’autres : une décennie, un âge d’or qui te fait rêver ?
Même si la photo était un milieu moins accessible qu’aujourd’hui, beaucoup plus élitiste, j’ai l’impression que les années 80-90 étaient tops pour un photographe ! La photo était matérialisée, précieuse, les appareils étaient sacrés, les vernissages étaient de vrais événements, les studios étaient des lieux mythiques, les budgets étaient plus gros. Oliviero Toscani ne pouvait pas faire ses pubs Benetton aujourd’hui… Il y a eu des photos mythiques faites à cette période. En 2050, quelles seront les photos mythiques des années 2020 ? Celles sur Instagram ?
Quel serait ton plus grand rêve ?
Professionnellement, que mon travail reste après mon passage.
As-tu un mantra dans la vie ?
La peur est saine, la panique est mortelle (du film Chasing Mavericks, ceux qui font surf auront la réf).
Quels sont tes projets en cours et à venir ?
Trouver le moyen de shooter Louise Bourgoin. (Louise, à bon entendeur) 🙂