Mélanie Courtinat[FRA]
- Art & Peinture
Chronique
Mélanie Courtinat, interaction digitale
Entrez dans l’art digital. Pénétrez dans les arcanes du jeux vidéo, de la réalité virtuelle et augmentée avec l’audacieuse Mélanie Courtinat, dans le cadre de notre dossier Tecknologic.
Interaction designer, c’est l’une des nouvelles mentions de l’art nouveau. N’entendez pas par-là le mouvement artistique qui atteint son apogée à l’orée du XXe siècle, mais comprenez l’art dans ce qu’il a de novateur, l’artiste dans ce qu’il a d’innovant. Imaginez-là cet art du second millénaire que l’on nomme communément « digital » en raison des dispositifs numériques qu’il requiert : ordinateurs, interfaces et réseaux. Pour Mélanie Courtinat, interaction designer, l’art digital est une évidence. Adepte de la réalité virtuelle et augmentée, de la 3D et des jeux vidéo, la jeune parisienne poursuit son œuvre en terre inconnue. Loin de l’image stéréotypée que l’on peut parfois associer à l’esthétique du gaming ou de la VR, elle crée des mondes virtuels parfois plus sensibles que le réel lui-même, où avatars et humains se mêlent sans repères, comme un mirage où l’on se perd, avec plaisir et même parfois avec danger. Game on.
L’art n’est pas pour moi
Pour Mélanie, l’art ne semblait pourtant pas une évidence. « Je ne savais pas dessiner, je me trouvais mauvaise avec un crayon ou un pinceau. Je pensais que l’art n’était pas pour moi ». Après avoir choisi la sage voie d’une Hypokhâgne, Mélanie comprend que la littérature n’est pas pour elle. Elle change donc de voie pour suivre une prépa d’art, puis elle intègre la prestigieuse École cantonale d’art de Lausanne – L’ECAL – où son chemin croise celui de l’artiste Marine Giraudo à qui nous avons également consacré un portrait ce mois-ci. Sur les bancs de l’école suisse, à la réputation internationale, Mélanie intègre la mystérieuse section Media Interaction Design où l’on apprend à manier le langage électronique et où l’on expérimente l’art lié aux nouvelles technologies. Immédiatement, Mélanie se trouve dans son élément. L’art digital devient son dada, sa vocation, sa profession.
« l’art interactif a besoin du spectateur pour exister »
Tout au long de cette formation atypique, assez pionnière à l’époque, Mélanie découvre de nouveaux terrains de jeux. Adepte du gaming, la voilà plongée dans cet univers familier qu’elle peut désormais explorer comme elle le ressent. L’étudiante découvre la réalité virtuelle et augmentée, la 3D. Elle s’empare de la programmation web, des logiciels et au fil du temps, elle se concentre sur les problèmes liés au gameplay et aux mécanismes d’interaction : ce qu’ils impliquent, ce qu’ils signifient et leurs conséquences. « Aujourd’hui, je ne me vois pas faire autre chose. J’utilise des médiums numériques car j’aime l’art interactif. Ce qui m’intéresse, c’est la position du spectateur. Une peinture sera belle quoi qu’il en soit, quoi qu’il arrive, mais l’art interactif a besoin du spectateur pour exister. Il a besoin qu’on joue avec lui, qu’on interagisse. Cela place l’artiste dans une position intéressante et généreuse avec le public », confie-t-elle.
Art, nouvelle technologie et modernité
De spectateur passif à actif, là est encore l’une des grandes métamorphoses de l’art contemporain. Mais contrairement au caractère lent et contemplatif de l’art physique, Mélanie doit apprendre vite et toujours rester à la page. « Dans l’art numérique, tout va très vite. Il y a une activité de recherche et de développement constante, et même si je ne fais pas partie d’un grand groupe ou d’une agence, je fais toujours une veille technologique ». Aujourd’hui, Mélanie partage son temps entre Paris et Lausanne où elle travaille en tant que freelance, principalement pour de grands groupes et marques de luxe, notamment dans la mode, à l’instar de Dolce & Gabbana, LVMH ou Jean-Paul Gaultier. « Je ne comprends pas grand-chose à la mode, mais j’aime les univers créatifs que ces clients et projets me permettent d’explorer. C’est un cercle vertueux en quelque sorte : des clients me contactent pour des commandes dans la mode ou le luxe dans lesquelles je m’épanouis et qui me permettent ensuite d’investir dans des projets personnels afin de développer mon propre style ».
« On observe une curiosité nouvelle envers ce médium »
Au fil de ses explorations virtuelles, Mélanie a trouvé son univers : un monde virtuel et sensible aussi merveilleux qu’inquiétant à l’instar de son projet interactif SAFE ou de son fabuleux jardin suspendu en VR, I never promised you a garden. Entre deux commandes, Mélanie expose aussi ses œuvres dans des circuits artistiques plus traditionnels, dans des galeries ou des festivals. Son projet SAFE réalisé à l’aide de caméras volumétriques est d’ailleurs exposé en ce moment rue Charlot à Paris. Voir, ressentir, communiquer différemment, voilà peut-être l’un des grands credos de l’art digital. Ce sont ces nouvelles réflexions vers l’infini et l’au-delà qui continuent de passionner la jeune artiste digitale. Si le jeu vidéo n’est plus seulement aujourd’hui un loisir d’initié, mais bel et bien un phénomène de masse, Mélanie sait que l’avenir du gaming s’annonce radieux. « On observe une curiosité nouvelle envers ce médium, notamment dans la mode, mais certaines sphères restent encore réfractaires aux jeux vidéos, comme l’art contemporain qui n’ose pas encore réellement exploiter la richesse de ce médium. Il faut insuffler une sorte de porosité entre ces différents milieux. Il ne faut pas avoir peur de la nouveauté ».
Actuellement, Mélanie écrit son propre jeu vidéo en réalité virtuelle qu’elle crée seule. « J’en suis encore à la phase d’expérimentation, de recherche et d’écriture. Je lis, je regarde des films, je joue aux jeux vidéos, c’est génial », confesse-t-elle dans un sourire. Un exercice technique de style qui, contrairement à un scénario, ne s’écrit pas ligne par ligne, mais plutôt comme un arbre de possibilités. « Je ne crois pas que le numérique me donne plus de liberté mais j’ai beaucoup d’admiration pour les artistes qui ne peuvent pas revenir en arrière ». Créer au-delà des frontières du réel, explorer à l’infini, avec l’option salutaire du « contrôle Z », comme un jeu vidéo que l’on pourrait reset, voilà peut-être une définition de l’art digital. Une fois de plus, l’art est une question de terrain, de jeu, et surtout de gamers.