Agnés Ricart[ESP]
- Illustration
Chronique
Agnés est une jeune illustratrice qui nous vient tout droit d’Espagne et plus précisémment de Valence, au bord de la côte ouest. Intense est peut-être le mot qui décrit le mieux ses illustrations, surchargées de couleurs flash, pétantes, discordantes. Un style audacieux et puissant comme les couleurs et la chaleur de l’Espagne, très différent de ce que l’on a présenté récemment sur Tafmag. Impossible de rester insensible à son trait tape à l’œil.
OBJET VISUeL NON IDENTIFIÉ
Agnés dessine principalement avec des outils numériques et elle souhaite, à travers ses dessins, chambouler les règles de la composition et étudier les limites de la balance des couleurs, pousser le trait jusqu’à la saturation chromatique. Les images sont quasi violentes pour les yeux. C’est cette saturation visuelle qui habite tout son travail d’artiste : les couleurs sont systématiquement exagérées, aveuglantes, marquantes. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Agnés ose les couleurs, surtout celles qui ne vont pas ensemble à première vue. Elle n’hésite pas à juxtaposer un jaune presque fluorescent à côté d’un rose vif. Elle n’ajoute à sa palette aucune teinte plus douce ou pastel pour calmer le jeu ou apaiser le regard. On croirait plonger dans l’inconscient d’un hyperactif ou avoir adopté la vision de quelqu’un dont la perception des couleurs serait déformée. On est très loin des couleurs douces de l’aquarelle, des camaïeu légèrement déclinés et suggestifs de Rosie Harbottle prônant l’apaisement. L’art d’Agnés est choc et produit un effet visuel immédiat.
Grâce à l’utilisation de ces couleurs vives l’esprit est stimulé, en alerte, prêt à recevoir le message caché derrière l’œuvre. Car si l’on est d’abord captivés par les teintes, il se cache néanmoins derrière cette fausse cacophonie colorée des thèmes importants. Il faut aller plus loin, distinguer et étudier les formes qui se cachent dans ce flot. Le choix de couleurs prend alors un sens plus subtil, au deuxième regard. Agnés aborde des thèmes aussi forts que sa palette de couleurs, notamment la sexualité et la question du genre. Comme pour nous prévenir que nous ne sommes pas dans la légèreté et qu’au contraire, les thèmes abordés par Agnés sont graves, nécessaires, les femmes d’Agnés ne sourient jamais. Les figures semblent perdues dans des corps qui ne leur correspondent pas. Un homme au sexe bien dessiné dans un caleçon bleu danse au milieu d’un univers floral, plus féminin. Ou cette femme, dont le corps rose éclatant sur fond jaune flash saigne à l’entre-jambe, sans tête… Elle porte dans ses mains une tête d’homme, sanguinolente elle aussi, d’un bleu vif, le bleu toujours si masculin dans l’imaginaire collectif. Ce dessin symbolise un questionnement intérieur profond sur la question de l’identité. Il est la métaphore visuelle de cette envie de s’arracher les attributs d’un corps qui ne nous correspond plus pour se glisser dans un autre. Agnés se fait la porte-parole de toute une communauté queer qui explose et s’impose sous ses traits audacieux. Son style est fourmillant, impossible à définir véritablement. Un style artistique non-genré et on ne peut plus adapté pour aborder la complexité du genre humain.