Leona Rose[FRA]

  • Art & Peinture

Avec un nom pareil, Leona Rose a tout l’air d’une féline se mouvant avec grâce au milieu de ses fresques tropicales. Armée de ses Posca, feutres et bombes aérosols, cette globetrotteuse tapisse les façades du monde entier, qu’il s’agisse d’hôtels, d’hôpitaux ou d’orphelinats, de ses jungles et animaux déjantés. Bien loin de se laisser enfermer dans l’image de l’illustratrice pour enfants, Leona Rose manie le sens de l’humour et de la provocation.

Interview

Le 07.02.2018 par Diane Micouleau

En pleine préparation de son exposition (Hi)Story à la Slow Galerie, elle a accepté de répondre à nos questions tout en recouvrant un mur de plantes exotiques.

TAFMAG : ÇA NE TE DÉCONCENTRE PAS DE DISCUTER PENDANT QUE TU DESSINES ?

Léona Rose : Ah non, bien au contraire ! Tu peux y aller.

OK. COMMENÇONS PAR LE DEBUT : COMMENT EN ES-TU ARRIVÉE À DEVENIR ILLUSTRATRICE ?

J’ai 30 ans, et à la base je viens du sud de la France, vers Aix-en-Provence. Au soleil ! Je suis montée à Paris parce que je faisais une école de commerce. Dessiner ça a toujours été ma passion, je dessine depuis que je suis toute petite. Et un jour, j’ai eu un déclic et je me suis dit que ce n’était plus possible de continuer à travailler dans le commerce juste pour gagner de l’argent tous les mois. Mais bon, comme on m’a toujours dit qu’artiste ce n’était pas un vrai métier, il fallait bien que je trouve quelque chose. J’ai recommencé à dessiner quand une de mes meilleures potes, qui est tombée enceinte, m’a demandé de lui faire des illustrations. Au fur et à mesure cette activité a fini par prendre plus d’importance que le commerce, et il y a deux ans et demi j’ai décidé de tout plaquer pour me consacrer uniquement à l’art.

TU N’AS JAMAIS SUIVI DE COURS ?

J’ai fait les Beaux Arts de Paris en cours du soir pendant un an, alors que j’étudiais le commerce. C’était vraiment un hobby, je trouvais ça intéressant de faire une formation aux Beaux Arts. J’avais des cours de morphologie avec des modèles vivants, c’était super pour affiner ma technique. Ça m’a appris à reconstruire mon dessin, parce que je suis autodidacte.

« DISONS QUE JE SUIS QUELQU’UN D’ASSEZ LÉGER ET JOYEUX »

AS-TU TOUJOURS FAIT DE L’ART NAÏF ?

Disons que dans ma tête, je suis quelqu’un d’assez léger et joyeux. Je n’ai pas de message ni de revendication à faire passer. Quand je dessine, c’est quand je suis bien, que je passe un bon moment et j’ai envie que les gens le voient comme ça : que mon art leur donne un peu de soleil. C’est notamment ce que je cherche à faire en mettant en place des workshops dans les orphelinats. J’aimerais vraiment continuer à faire ça et faire le tour du monde pour peindre les murs des orphelinats avec les enfants qui y habitent. D’ailleurs là je vais partir au Cambodge dans une ONG pour peindre les murs d’une école publique avec les élèves.

JUSTEMENT TU VOYAGES ENORMEMENT. C’EST TOUJOURS DANS UN BUT PROFESSIONNEL ?

J’essaye de joindre le voyage à l’aventure car je ne prends pas l’art comme un travail, mais vraiment comme une passion. C’est toujours ce que j’ai rêvé de faire. Je ne veux pas faire uniquement du commercial, réaliser des illustrations pour des marques ou autres… C’est important de garder une identité d’artiste. Je ne veux pas être une artiste parisienne qui travaille uniquement à Paris. Je voudrais être appelée dans le monde pour créer. Et toujours dans cette idée de bonne humeur, de partage, de donner de la couleur, réveiller des vocations…

RÉVEILLER DES VOCATIONS, C’EST-À-DIRE ?

Quand j’étais au Guatemala, j’ai réalisé une fresque avec des enfants dans un orphelinat. Là-bas, ils ont un accès à la culture très limité. En terme d’éducation aussi, c’est très compliqué. Quant à l’art, ils n’avaient jamais vu un Posca de leur vie. Dans cet orphelinat, il y avait un petit garçon qui disait ne pas aimer dessiner. Je lui ai dit d’essayer quand même et finalement c’est le seul qui est resté toute la journée avec moi. Il était très créatif. Et puis cela leur a donné plein d’idées alors qu’ils n’avaient jamais eu d’atelier dessin ! Ils ne savaient pas qu’ils pouvaient dessiner. Peut-être qu’ils grandissent trop vite car leurs conditions de vie sont difficiles. Mais là, ils ont pu rêver pendant une journée ou deux. Ils étaient comme des fous.

TES DESSINS ONT UN CÔTÉ TRÈS ENFANTIN. AS-TU UN LIEN PARTICULIER AVEC L’ENFANCE ?

Pas particulièrement… J’aime bien travailler avec les enfants parce qu’ils sont très spontanés et réceptifs. Et bien sûr je suis très touchée par les enfants qui vivent dans des conditions difficiles ; j’aime bien faire des choses avec eux. Ils sont super reconnaissants, ils sont avides d’apprendre, sans a priori…

TU TROUVES QUE LES ENFANTS SONT UN PUBLIC PLUS FACILE QUE LES ADULTES ?

Ils sont plus naïfs en fait et comme ma peinture l’est aussi, disons qu’il y a une connexion assez naturelle qui se fait entre les deux. Ils ont plus de lâcher-prise aussi.

L’ART NAÏF ÉTAIT DÉCRIÉ ORIGINELLEMENT CAR ON CONSIDERAIT QU’IL MANQUAIT DE TECHNICITÉ. EST-CE QUE TU TROUVES QUE L’ART NAÏF EST ENCORE MAL VU ?

Pas forcément, car on dit que mon style est un peu enfantin, mais par exemple je n’ai travaillé que pour très peu de marques pour enfants, et l’essentiel des œuvres que je vends sont vendues à des adultes. Alors, ça a l’air enfantin mais la grande majorité de ma clientèle a mon âge. Et je ne voudrais surtout pas être associée à une illustratrice pour enfants.

ON ASSISTE DEPUIS QUELQUES ANNÉES À UNE VÉRITABLE RECRUDESCENCE DES MOTIFS VÉGÉTAUX, QUE CE SOIT DANS LES INTERIEURS, DANS LES FRESQUES MURALES OU DANS L’ART EN GÉNÉRAL. COMMENT TE SITUES-TU PAR RAPPORT À CETTE MODE ?

C’est vrai qu’il y a une mode du motif jungle, et qu’il y a pas mal de nanas qui font des petites aquarelles avec des feuilles de toutes les couleurs… J’ai l’impression que tout se ressemble un peu. Mais après, j’essaye de constamment innover, d’intégrer de nouveaux éléments, des mélanges de couleurs que je n’avais jamais faits… J’aime aussi quand des clients ont des demandes précises. Comme ça je me nourris d’eux et ça permet à mon univers d’évoluer. J’essaye de toujours faire des choses différentes. Et puis c’est toujours relié à des voyages, des expériences humaines. Ça va bien au-delà du naïf et de l’ère du temps.

« JE SUIS TOUT SAUF REBELLE ! »

QUITTE À TOMBER DANS L’ÉVIDENT, EST-QUE LE DOUANIER ROUSSEAU COMPTE PARMI TES INSPIRATIONS ?

Mouais… C’est vrai qu’il a peint des jungles et comme on le disait, c’est à la mode en ce moment. Et c’est vrai que c’est beau. Mais il n’y a pas forcément de message derrière, c’est surtout qu’il était un précurseur dans son temps. Bizarrement, les œuvres de Matisse ou de Klimt me parlent beaucoup plus. Je les trouve beaucoup plus fortes, même si c’est plus éloigné de mon style.

LA SLOW GALERIE ACCUEILLE TA PREMIÈRE EXPOSITION, (HI)STORY, QUI REVISITE L’HISTOIRE DE L’ART À TRAVERS 21 ILLUSTRATIONS FAUSSEMENT NAÏVES. D’OÙ T’ES VENUE CETTE IDÉE ?

Oui, alors là tu vois Frida Kahlo, « American Gothic » , « la Cène »… J’ai voulu décaler la jungle et mon univers vers des personnages. Essayer de les styliser, me diriger plus vers la mode et leur dessiner des looks… Une amie qui travaille dans l’art m’a donné l’idée de revisiter des classiques de l’Histoire de l’art avec mes personnages, justement pour crédibiliser la dimension naïve de mes œuvres. Il y a une profondeur et une histoire derrière, que je réinterprète, un message que je reprends et revisite. Si j’ai une démarche, c’est d’essayer de susciter la joie et le rire en proposant des images décalées et un peu provocantes. J’ai représenté Marilyn Monroe en chameau, lui donnant un air un peu bête. « La Jeune fille à la perle » est un zèbre qui fait la belle avec ses longs cils. Au milieu du « Déjeuner sur l’herbe », il y a un koala avec un string léopard… J’adore faire rigoler les gens, ça les déconnecte un peu de leur quotidien.<

DU FAIT DE PEINDRE DES FRESQUES SUR LES MURS ET DES FAÇADES, TE CONSIDÈRES-TU COMME UNE ARTISTE STREET ART ? SACHANT QUE LE STREET ART N’EST PAS QUE L’ART CLANDESTIN ET QU’IL EST DE PLUS EN PLUS UTILISÉ POUR RÉHABILITER DES QUARTIERS DÉFAVORISÉS. ON VOIT BEAUCOUP ÇA EN AMERIQUE LATINE.

Alors, le street art dans le sens peindre à des endroits interdits, absolument pas. Je suis tout sauf rebelle. (Rires) Je ne me vois pas me faire courir après par la police parce que j’ai peint sur un mur. Moi je peins sur des murs parce qu’on m’en a donné l’autorisation, dans des hôpitaux, écoles ou autres… Mais je les rejoins dans la démarche de vouloir réhabiliter des quartiers, faire participer la collectivité, et rendre des endroits plus beaux et plus agréables à vivre.

AS-TU L’INTENTION D’ÉVOLUER VERS D’AUTRES MÉDIUMS, D’AUTRES GENRES PICTURAUX, OU D’AUTRES FORMES D’ART ?

Déjà, je suis passée du papier à la fresque. J’aimerais en faire de plus en plus grandes, de passer du mur à la façade. Après, j’aimerais dessiner sur des objets du quotidien, pour m’intégrer un peu plus dans la vie quotidienne. Par exemple, j’aime bien tout ce qui est design. J’aimerais, à terme, ne plus penser la décoration seulement avec un mur que je peins mais avec tout ce qu’il y a autour. Le mur répond forcément à une déco. J’aimerais penser l’intérieur comme quelque chose entre l’architecture d’intérieur et l’art.

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